3.1.1.4 La biodiversité comme enjeux économiques

Les chasseurs-cueilleurs vivent dans un environnement très riche dont la biodiversité n’est plus à démontrer, et depuis plusieurs décennies déjà ces richesses ont attiré divers publics issus, entre autres, de pays occidentaux. Les intérêts peuvent être divers et variés :

Figure 36. Le parc national de Minkébé.
Figure 36. Le parc national de Minkébé. © Ecofac.
Figure 37. Le parc national de Minkébé dans le contexte des zones protégées de la région.
Figure 37. Le parc national de Minkébé dans le contexte des zones protégées de la région. © Ecofac

Il peut paraître surprenant de lister les Parcs Nationaux et l’écotourisme au même titre que les exploitations forestières ou minières puisque les objectifs sont totalement antagonistes. Les mines de fer sont depuis fort longtemps reconnues comme une des causes principales de pollution dans certaines régions, comme notamment la mine de fer d’Itabira au Brésil (cf. Lebas, 2008 : 14). Pour autant, un projet du même genre est prévu dans la zone de Bélinga au nord-est du Gabon et une étude a été menée afin d’envisager l’impact d’une telle exploitation. La zone potentielle de pollution de l’eau couvrirait des centaines de km2 allant jusqu’au Parc protégé de Minkébé (cf. ibid. carte p.17), sans parler de la déforestation pour l’ouverture de routes, ou la construction du chemin de fer. Tous ces impacts auraient un effet désastreux non seulement sur la faune et la flore mais de fait sur les populations de chasseurs-cueilleurs (Baka, Koya), et également sur les populations de pêcheurs de cette région (Kota, Kwele, etc.). Comme le souligne Lewis (2006 : 14) :

‘« Amazingly, the relationship between the intensification of industrial extraction and the increasing diminishment of natural resources continues to be ignored or glossed over. ».’

En effet, aussi surprenant que cela puisse paraître, le projet de Bélinga a obtenu gain de cause auprès du WWF (2008). Toutes ces activités exercent des pressions considérables sur l’écosystème, étant entendu que les différentes populations de forêt font partie intégrante de cet écosystème84, fait souvent oublié. De plus, Lewis insiste sur le fait que la création d’aires protégées justifie par ailleurs des destructions forestières85. Le projet de Bélinga en est un exemple frappant.

La majorité des interventions de ces ONG et des entreprises forestières ou minières portent préjudice aux chasseurs-cueilleurs dans la mesure où ils sont obligés de se retrancher dans une zone éloignée de la zone d’occupation des sols desdites entreprises ou des organismes de préservation, ces derniers édifiant des Parc Nationaux protégés avec notamment l’aide des gouvernements. Ces changements ne sont généralement pas réalisés en concertation avec les populations locales. Les chasseurs-cueilleurs ne sont pas les seuls victimes de ce genre de politique restrictive, les Kota du Gabon ne peuvent plus pêcher dans leurs zones de pêche traditionnelle devenue zone périphérique protégée du Parc de l’Ivindo.

Par conséquent, l’environnement ne leur appartient plus. Qui plus est : ils ne peuvent plus jouir de ses richesses à leur guise. L’accès à leurs principales ressources est coupé ou rendu obsolète. Que peuvent-ils encore trouver comme gibier dans une zone forestière morcelée par plusieurs routes d’exploitation forestière ? Les Parcs nationaux ne résolvent pas pour autant le problème puisque les populations n’ont pas accès aux zones de gibiers, ainsi que le souligne Lewis (2008/9 : 15 et 17)86.

Comme abordé à plusieurs reprises, non seulement les chasseurs-cueilleurs n’ont pas accès au gibier mais même lorsque cela est possible comme au Gabon, les restrictions ou autres interdictions, imposées par le gouvernement et/ou certaines ONG les privent de grande chasse régulière ; pratique, pourtant centrale dans leur conception de société (cf. chapitre 4 au sujet de la catégorisation des animaux et plus particulièrement de la place de l’éléphant). Ainsi dès les années 1960, le Père Morvan (cité par Morel, 1963-64), relève au village de Nkoakom, une interdiction de chasser l’éléphant dans cette région depuis déjà trois jours ; interdiction donnée par le moniteur des Eaux et Forêts.

‘« En fait, le sort des Pygmées dépend étroitement du devenir de la forêt équatoriale (ce qui a déjà été maintes fois proclamé) et l’on doit envisager les problèmes de développement de ces régions à un niveau plus global. » (Bahuchet, 1991 : 31) ’

Toute la difficulté réside dans l’articulation entre le niveau local et le niveau global dans la mesure où le local ne doit pas disparaître au profit du global. Cela rejoint la notion de glocal lancée par Laplantine & Saillant (2005).

Ainsi, l’instauration de tels territoires protégés a un revers, en particulier pour les populations qui vivent de la forêt et dont l’environnement forestier constitue l’espace culturel. Elle entraîne une modification qui ne manquera pas d’influencer la perception de l’espace par ces populations de même que certaines de leurs pratiques de subsistance. Bien que les limites ne soient pas marquées physiquement, elles sont bien présentes, ne serait-ce que dans le discours ambiant et, plus concrètement, dans les éventuelles sanctions appliquées en cas d’infractions réelles ou faussement imputées. Le continuum spatial éclate et la fluidité quasi totale qui caractérisait l’environnement forestier (Pourtier, 1989) se trouve affectée. L’espace instauré s’ouvre (augmentation potentielle de la biodiversité) et se rétrécit (restrictions ou interdictions liées à la chasse à l’éléphant). L’espace originel est marqué par une certaine ambivalence. Les Baka, dont certains villages se trouvent à présent à l’intérieur du Parc national de Minkébé, doivent désormais composer avec cet espace modifié, le domaine du parc et les abords étant soumis aux contraintes définies par les instances qui gèrent les parcs au Gabon. Ils ont, en principe, le droit d’aller chasser l’éléphant, mais seulement si cette chasse se justifie par une cérémonie spécifique, reconnue comme étant propre à la communauté baka. Autrefois, l’appréciation de la forêt était déterminée par le caractère non fermé de l’espace, l’absence totale de clôture ou de frontières visibles (postes de garde, barrières). Le campement faisait partie intégrante de l’environnement au même titre que les végétaux. Le tout formait une unité spatiale. De nos jours, les Baka vivent encore au sein de cet espace, mais ne peuvent plus y évoluer de la même manière. Une chasse à l’éléphant, même autorisée, prend l’allure d’une intrusion en territoire « propre », du fait qu’elle ne peut plus être pratiquée librement dans le but d’assurer la subsistance.

On observe, en outre, un début d’exploitation sauvage des ressources de la forêt et de la terre par des exploitants souvent peu scrupuleux dans des zones contiguës à la région habitée par les Baka, qui pourrait finir par modifier encore davantage l’environnement forestier. En dépit d’une exploitation forestière raisonnée en cours d’expérimentation, basée sur des cycles d’une dizaine d’années, l’absence d’une véritable politique de reboisement à long terme risque d’avoir des implications directes pour la biodiversité, déjà en perte de vitesse.

Les Baka, s’ils ne sont pas amenés à modifier leur rapport à la forêt, devront intégrer ces transformations dans leurs pratiques existantes. Cependant, ces transformations pourront également finir par renforcer les conséquences de la sédentarisation des Baka et occasionner un changement définitif de leur mode de vie.

Notes
83.

Certains projets n’ont été mis en place que récemment (depuis seulement quelques années), aussi le manque de recul ne permet-il pas de savoir s’il s’agit effectivement de gestion durable. Seul l’avenir le dira, et dans le cas contraire, les pertes en biodiversité seront conséquentes voire irréversibles pour certaines essences.

84.

D’autres populations vivant à proximité de la forêt font également partie de cet écosystème mais cela est encore moins évident aux yeux des ONG ou des divers gouvernements puisqu’elles n’y vivent pas en permanence.

85.

Lewis (2006 : 15): “This enforced preservation of forest in some areas serves to justify the forest’s destruction elsewhere.”

86.

« Exclusion zones and protected areas displace the problem, they do not solve it. […] From local perspectives, rich hand powerful outsiders are denying poor people access to their basic needs. This is seen as a grave abuse of basic human rights by many. »