Quant à la question de la résidence, force est de constater que les choses ont beaucoup changé dans la mesure où la politique de sédentarisation a amené les Baka à se "fixer" à un endroit donné et à construire des cases semblables (du moins copiées sur le modèle bantu de la région) aux Bilo voisins, c'est-à-dire les Fang en ce qui concerne cette région. Ce n'est pas tant la construction de cases qui favorise leur sédentarisation mais cette notion de village qui devient un lieu de retour systématique après les activités en forêt. Joiris (1998 : 35) parle de « village/hameau [qui] constitue le point d’ancrage permanent ».
L’incidence sur la forêt est manifeste. Elle reste cependant le lieu de ressources alimentaires privilégiées, le lieu de l'esprit Edzengui présent dans la majorité de leur cérémonie (sa parure est conçue dans la forêt), le lieu de fuite en cas de danger (conflit, recherche lancée par un Bilo…) et surtout ce qui me semble primordial et qui relève du fondement de leur mode de vie qui est encore très présent : le lieu de séjour privilégié pour resserrer les liens familiaux. Ceci est essentiel car il prouve non seulement leur attachement à ce lieu qu'est la forêt mais surtout qu'ils se reconnaissent, qu'ils existent et qu'ils perdurent (tout comme leurs traditions et leur langue au travers notamment du vocabulaire de leurs propres pratiques) grâce, au travers et, comme mentionné précédemment, au sein de la forêt. La forêt est leur identité, elle fait partie intégrante de leur être.
Ainsi, l’organisation spatiale interne de certains villages – la disposition des cases (tournées vers l’intérieur), la présence et l’emplacement des huttes, les voies de communication et leur orientation, en opposition avec la structure longitudinale habituelle des villages bantu – rappelle l’organisation du campement (cf. infra plan du village de Bitouga p 134).
De même, l’organisation spatiale dans le village est également fonction des liens de parenté. En effet, comme indiqué dans la partie , la cohérence au sein du village est assurée par les lignages et par des alliances entre lignages. Les membres d’un même village ont généralement une histoire migratoire commune87. Les nouveaux arrivants intègrent le village suivant les règles qui régissent la répartition en fonction de l’appartenance clanique ou lignagère. Le schéma de Leclerc (2001 : 228) corrobore cette répartition clanique même lorsque les Baka s’installent le long des routes suivant la disposition des villages bilo voisins. Le nombre d’habitants varie considérablement d’un village à un autre, il est souvent corrélé à deux facteurs primordiaux que sont la composition dudit village (mixte vs Baka, cf. carte ci-après) et la proximité des villes.
On observe, pour le village de Bitouga, une nouveauté qui, en réalité, correspond à l’introduction d’un trait ancien au sein de l’espace du village. Sur le plan réalisé en août 2006 (cf. annexe 6.2.2), on note l’apparition de la maison 46. Il s’agit d’une maison pour célibataires, qui correspond à la hutte mbɛɾɛ, traditionnellement réservée aux personnes ayant ce statut, généralement réalisée avec un toit plat, et donc différente des mongulu.
Tout comme au campement, il n’existe pas de rapports hiérarchiques au sein du village, même si certaines personnes, jouissant d’un charisme particulier lié à leurs prouesses de maître-chasseur (tuma) ou de grand guérisseur (nganga), peuvent y assumer des rôles plus ou moins prépondérants. La désignation d’un chef au sein du village baka se fait sous la pression institutionnelle des représentants locaux du gouvernement qui impose cette pratique. Les Baka de Bitouga, par exemple, ont choisi, d’après leurs propres critères culturels et leur propre conception des choses, le plus grand tuma reconnu à ce moment-là, individu qui s’est avéré ne pas du tout posséder les compétences qu’on attend normalement d’un chef de village bantu. La personne ainsi désignée n’a pas du tout pris son rôle au sérieux, tout simplement parce que cette vision hiérarchique ne correspondait absolument pas à la conception sociétale des Baka. Lorsque cette personne était obligée d’intervenir (sous l’ordre des autorités locales, par exemple pour régler des cas d’adultère), elle le faisait à contrecœur et laissait volontiers intervenir d’autres membres du village. Somme toute, ce nouveau phénomène est très intrusif pour les Baka et s’oppose radicalement à leur propre mode d’éducation basée sur une autonomie précoce de prise de décision, où chacun assume ses responsabilités.
‘« Traditionnellement acéphales, les ethnies pygmées se sont vues partout obligées d’accepter la tutelle administrative du chef de village (soit pygmée, soit villageois). […] La société traditionnelle (Aka, Baka) accordait une influence prépondérante à trois personnages : l’aîné du campement, le maître de la chasse à l’éléphant et le devin-guérisseur, chacun ayant sa propre compétence. » (Bahuchet, 1991 : 22)’Les Baka affirment tous être originaires du Cameroun ou du Congo.