3.1.2.1 Localisation des villages

Le village change donc de statut : il devient lieu de retour systématique de la forêt, alors qu’auparavant il s’agissait d’un simple lieu de passage, permettant des contacts et des échanges, à des intervalles réguliers, avec les Bilo. Les Baka parlent maintenant de départ en forêt et de retour au village : le village devient maintenant un territoire de référence dans l’espace, autour duquel s’organisent la vie et la mobilité. Ce changement est conséquent dans la vie d’un chasseur-cueilleur. Toutefois, l’utilisation du terme de « village » est quelque peu abusive pour nombre de villages baka : il s’agirait bien plutôt, dans l’état actuel, d’une sorte de camp de base qu’il est possible de considérer comme une étape intermédiaire (imposée) entre leur mode de vie nomade et une sédentarisation plus avancée (excepté pour Mféfélam, cf. carte 38 ci-après). Les habitations ne sont pour le moment que des entrepôts des modestes biens personnels.

De nos jours, d’une manière générale, le rapport « forêt-village » s’est progressivement inversé puisqu’ils dorment principalement au village88. Toutefois, il est intéressant d’étudier de plus près la proportion du temps passé dans l’un ou l’autre lieu, car leurs activités de subsistance se passent encore en forêt. Quoi qu’il en soit, on note une réduction importante de la durée des séjours en forêt.

Bien que le retour au village soit devenu systématique, cela ne signifie pas nécessairement que le retour est forcément immédiat : par exemple, un groupe de deux familles peut partir chasser pour une période de deux mois, et ne revenir qu’en possession d’une grande quantité de viande assurant ainsi au village la nourriture de ces deux familles pendant un mois. Ils auront dormi dans les différents campements anciennement installés ou reconstruits pour l’occasion.

Il s’agit ici d’un changement conséquent, voire drastique, sur le plan culturel. Anciennement, les groupes, constitués d’une quarantaine de personnes, se déplaçaient ensemble, et assistaient à des veillées communes. Lors de ces veillées, plusieurs anciens contaient le passé et les chasseurs relataient leur partie de chasse du jour ou d’autres parties de chasse marquantes devant tous les enfants du campement (cf. film Agland ou Linares). Aujourd’hui, cette pratique culturelle est très exceptionnelle au village et, lorsqu’elle a lieu en forêt, ne concerne que deux ou trois familles nucléaires tout au plus.

Enfin, il convient de faire une distinction nette entre les villages qui se situent à proximité des villes et les villages plus éloignés. Les comportements des membres de ces deux types de villages ne sont pas nécessairement uniformes, les villages situés à plus grande distance des villes présentant des traits plus conservateurs. Ce point sera discuté plus en détail dans la partie conclusive 3.4.

Figure 38. Les villages baka dans la région de Minvoul et leur disposition par rapport aux villages fang et aux autres agglomérations urbaines bantu Carte réalisée avec Vincent Monatte (DDL, Lyon 2008) ; carte plus récente et plus complète (pour ce qui concerne les distinctions de populations au sein des villages) que celle établie par Mvé-Mebia (2001) qui a servi de base. .

D’après cette carte, sur les huit villages répertoriés dans cette région, cinq sont proches d’une route (ou plutôt d’une piste en latérite en partie goudronnée). Seule la piste donnant à Doumassi est difficilement carrossable, voire impraticable en saison des pluies. Les trois autres villages, Bitouga, Etogo et Ovang-Alène sont situés de l’autre côté du fleuve Ntem comparativement à Minvoul90. Se trouvant en pleine forêt, ils ne sont accessibles qu’à pied et en pirogue ; une zone minimale a été déboisée afin de permettre la construction des quelques habitations et de certaines plantations (cf. plan de Bitouga ci-après p 134). Même si certains chemins relient ces trois villages, la forêt demeure extrêmement dense à cet endroit et il ne faut pas moins d’une heure et demie pour se rendre de Bitouga à Etogo par exemple. Quant au déplacement de Bitouga à Minvoul, il s’avère fastidieux avec l’utilisation de pirogues et le franchissement du Ngam, colline offrant quelques 400 mètres de dénivelé. Suivant la constitution du convoi, adultes accompagnés d’enfants, ou transportant de lourdes charges, jeunes désirant simplement se rendre en ville ou rendre visite aux autres Baka des villages situés plus au nord, etc., ce déplacement peut varier d’une à plusieurs heures.

Seulement trois villages sont essentiellement baka dont deux jouxtes un village fang, les cinq autres sont mixtes. La particularité du village de Zangaville, hormis le fait qu’il soit un peu « excentré » par rapport aux sept autres villages, est sa composition principalement constituée de membres de la famille de Soukia Naya (f.447). Ce dernier s’est installé à proximité de la route afin de faciliter l’accès à son village aux patients ; il jouit effectivement d’une grande renommée en tant que guérisseur et les malades affluent non seulement des quatre coins du Gabon mais également des pays limitrophes comme la Guinée Equatoriale ou le Cameroun. Zangaville abrite donc Soukia, septuagénaire, ses épouses et quelques uns de ses descendants sur une ou plusieurs générations (cf. fichier Puck en annexe 6.2.5).

Ces configurations spatiales dénotent un processus de sédentarisation et/ou d’assimilation relativement avancé dans la mesure où seul un village, Bitouga, demeure « isolé » au même titre que les campements de forêt. Pour autant, les critères d’éloignement et de mixité du village, jouant un rôle primordial, ne sont pas les seuls paramètres à prendre en considération dans les dynamiques de transformation de cette communauté baka (cf. notamment les différentes pressions extérieures liées aux divers enjeux économiques précédemment évoquées).

Notes
88.

Toutefois, ceci dépend en grande partie des saisons, mais également du statut familial de l’individu : les célibataires sont beaucoup plus souvent en forêt (pour eux-mêmes ou pour honorer des contrats de chasse en faveur des Bantu) que les pères de famille.

89.

Carte réalisée avec Vincent Monatte (DDL, Lyon 2008) ; carte plus récente et plus complète (pour ce qui concerne les distinctions de populations au sein des villages) que celle établie par Mvé-Mebia (2001) qui a servi de base.

90.

La migration des Baka se réalisant du nord au sud, c’est-à-dire du Cameroun au Gabon, et plus spécifiquement des anciens villages de forêt sur la route de Nkom à Minvoul (route et/ou piste empruntée par les véhicules pour se rendre au Cameroun, sur les abords de laquelle se trouve Mféfélam, Nkoakom et Mimbang). Cinq villages se situent donc plus au sud que Minvoul dont trois nécessitent le franchissement du Ntem.