Quelques aspects de vie quotidienne au village

Après le bain, les femmes aiment se passer de la crème sur le corps. Traditionnellement il devait s'agir d'huile ou de graisse animale vu la dénomination: mita. Il peut également s’agir d’un phénomène récent, avec extension sémantique pour le terme en question. Quoiqu’il en soit, de nos jours, les jeunes femmes achètent des crèmes dans les petites boutiques de la ville.

D’après la littérature, les photos de Morel (années 1960, annexe DVD) et les récits des anciens baka ou bantu, les chasseurs-cueilleurs, hommes et femmes, se tondaient les cheveux. Cette pratique était certainement liée à une meilleure circulation en forêt où les branches font entrave et à l’hygiène (évitement des poux102). La coupe des cheveux et les différents niveaux de tonte permettaient la création de dessins spécifiques, qui paraissaient extravagants aux Bantu. Actuellement, certaines femmes et jeunes filles laissent pousser leurs cheveux pour réaliser des coiffes identiques à celles de leurs voisines fang103. Ce phénomène s’observe surtout au village, car lorsqu’elles ont besoin de partir en campement de forêt pour une période relativement longue, elles préfèrent se tondre. Les hommes et les garçons, de manière générale, continuent de se tondre ou de se raser la tête à l’aide d’une simple lame de rasoir104. Toutefois, on observe au village de Mféfélam quelques pratiques curieuses pour des Baka plus conservateurs, qui consistent, pour des jeunes hommes (14-18 ans), à se colorer les cheveux.

Une caractéristique très présente dans la littérature spéclaisée est la question des dents limées en pointe (à la manière des brochets, peut-on lire quelquefois). Cette pratique concerne, ou concernait, autant les jeunes filles que les jeunes hommes. Pour ce qui est de la région de Minvoul, il est effectivement possible d’en parler au passé puisque les jeunes gens ne souhaitent plus « souffrir » ; les douleurs d’une telle pratique durent environ deux mois. Au village de Bitouga, seule la génération des plus de 40 ans arbore un tel sourire (comme, entre autres, Mona, f.242, Lemba, f.231 et son jumeau Gakolo, f.232, Ina, f.3). D’après l’entretien réalisé auprès de Mona (cf. annexe 6.2.1.1), il était surtout question d’esthétisme, « de parure ». Il souligne que peu nombreux sont les jeunes de moins de 35 ans à avoir les dents limées. En effet, déjà en 1961, Morel (1961 : 17) note que ce type de pratique tend à s’estomper et rapportant les paroles des Baka, il ajoute qu’il ne s’agit pas uniquement d’une mode mais qu’il est également question de faciliter la mastication de la viande. Les propos du film de Linares (2003, timing 31 :22), viennent corroborer ces questions d’esthétisme et de mastication ; cette pratique étant réalisée lors de cérémonies d’initiation.

La tenue vestimentaire, comme visible sur certaines photographies en annexe DVD est celle qui est attestée partout au Gabon. D’après les ouvrages spécialisés, les chasseurs-cueilleurs portaient une écorce d’arbre assouplie comme une sorte de culotte, pour unique vêtement. D’après Mona (cf. entretien annexe 6.2.1.1), il s’agit du « bangi », écorce de l’arbre du même nom (cf. partie pour ce qui concerne la technique de fabrication de cet habit)105. Par la suite, les Baka ont intégré le port du pagne à la manière bantu (hommes et femmes), comme cela se voit sur la photographie d’une mise en scène de la construction d’une hutte (cf. photo 5 en annexe DVD)106. Puis, le pantalon a pris le relais du pagne auprès des hommes. Comme évoqué, Mona (f.242) âgé d’une soixantaine d’années, décédé au cours du premier semestre 2006, a vécu ces différents changements vestimentaires. Ces changements ne concernent pas uniquement le style de vêtement porté mais également la (ou les) partie(s) du corps cachée(s). Il est, en effet, communément admis que les individus (dès 8-9 ans), hommes ou femmes ne doivent pas dévoiler la partie du corps située au-dessus des genoux jusqu’à la taille. Ainsi, toute femme désirant changer de pagne, aura pris soin d’enfiler au préalable un long caleçon (genre cycliste). Certaines jeunes femmes portent régulièrement ces caleçons longs ou des jeans mais jamais sans pagne pour les premiers et rarement sans pagne pour les seconds. Même dans le village de Mféfélam (reconnu comme moins conservateur même aux yeux des Baka eux-mêmes), où les jeunes gens aiment se distinguer des anciens par un changement quelquefois radical (cf. partie 3.2.3), peu de jeunes filles sont vêtues exclusivement de jeans.

Lors de la reconstitution de l’établissement d’un campement de forêt (cf. vidéo 1, annexe DVD), les hommes revêtent un simple pagne et se décorent le buste et le visage avec de la poudre noire mélangée à de l’huile. Ils affichent une certaine gêne à se vêtir de la sorte car ils découvrent ainsi à la vue de tous leurs jambes dont une partie de leurs cuisses. Ils ont ainsi l’impression d’être dénudés, ce qui renseigne sur les pratiques vestimentaires adoptées aujourd’hui au quotidien. En effet, de nos jours, les Baka sont entièrement vêtus et la majeure partie d’entre eux portent au moins des « babouches » à défaut de chaussures. Certains d’entre eux se trouvent en possession d’un costume (cf. photo 33, annexe DVD), souvent offert par un patient satisfait de sa guérison ou acheter en ville. Plusieurs petits étals proposent des vêtements neufs ou d’occasion — achetés au kilo en provenance d’Europe — pour enfants et adultes. Ce sont généralement les femmes qui achètent les habits à leurs enfants, et à elles-mêmes, exceptions faites des chaussures ou autres « babouches » qui peuvent être ramenées de la ville par le mari pour sa femme en guise de présents.

Une distinction certaine est à noter dans la manière d’utiliser et de mettre à profit les habits donnés et ceux achetés. Lorsque les femmes achètent des vêtements pour leurs enfants, elles font en sorte de choisir un modèle adapté à la taille et au sexe de l’enfant, ce qui paraît évident, mais la logique est tout autre quand il s’agit de dons. La répartition des vêtements est réalisée prioritairement en fonction des liens familiaux mais également en fonction des affinités (ces deux critères n’étant pas antinomiques). Le critère de la taille de l’enfant passe avant celui du genre, aussi il n’est pas rare de voir un petit garçon (moins de 4-5 ans) porter une robe ou une jupe. Il ressemble alors à ses camarades vêtus de tee-shirt trop longs qui, de fait, font office de robes. Tous les habits sont utilisés, même s’ils sont trop grands, ils seront portés et usés. Ils ne seront pas stockés pas pour un futur éventuel. Ils ne sont pas certains que leur enfant sera toujours en vie dans quelques années, étant donné le nombre considérable de décès relevé auprès de cette communauté chez les enfants de moins de deux ans (cf. partie 4.2.4).

Ainsi, au-delà du fait de s’habiller pour se couvrir le corps, la tenue vestimentaire revêt aujourd’hui au sein de la communauté baka un caractère de statut social élevé, un signe de richesse apparent qui n’est pas le simple fait de pressions extérieures (facteur exogène). En deux ans, la manière de se vêtir pour se rendre en ville a pris de plus en plus d’importance (facteur endogène). Il est fréquent aujourd’hui de voir un Baka de Bitouga aller en ville avec des habits de rechange dans un petit sac à dos. Il prendra soin de se changer en chemin. L’ampleur de ce changement se mesure également au fait que même les enfants sont habillés pour l’occasion. Les Baka veulent être fiers de l’image qu’ils donnent d’eux-mêmes et cela passe aussi par la tenue vestimentaire affichée.

Notes
102.

En effet, il suffit que les cheveux atteignent quelques centimètres pour assister à une séance d'épouillage. Celle-ci se pratique soit entre deux femmes, soit entre conjoints, soit entre femmes et enfants, soit entre enfants.

103.

Cette pratique implique l’achat de petits matériels de coiffure et donc des déplacements en ville.

104.

J’ai moi-même assisté à ce type de rasage où Waje, âgée d’une dizaine d’années, rasait le crâne de son grand-père Mona, ces lames de rasoir servent également à se couper les ongles.

105.

Cf. images du film d’Agland où certains Baka du Cameroun portent ce pagne d’écorce.

106.

« La plupart des hommes ne portent qu’un pagne autour des reins », Morel (1961 : 25).