Les jeux comme apprentissage de l’autonomie

Les Baka sont réputés pour être de grands joueurs, certains Bantu arguent même qu’ils sont toujours en train de s’amuser et ils sont considérés comme des hommes pacifiques. Ce qui tendrait à corroborer les propos de Laburthe-Tolra et Warnier (1993/2003 : 237) :

‘« L’échange des jeux demeure cependant l’une des grandes formes et des grands ressorts des échanges pacifiques entre hommes et sociétés. ».’

Qu’en est-il des faits ? En quoi, la communauté baka se distingue-t-elle des sociétés voisines, ou des sociétés occidentales ?

Il n’y a rien d’étonnant à observer des enfants qui passent beaucoup de temps à jouer, ce phénomène est présent dans bon nombre de sociétés. Il est, par contre, bien plus intéressant de relever les différents types de jeux pratiqués et la manière dont ceux-ci sont mis en place. En effet, les enfants jouent à imiter leurs parents125, comportements fréquents également dans d’autres sociétés, mais au sein de ces dernières, c’est souvent sous une forme très abstraite donc de fait éloignée de la réalité pratique en tant que telle. Par exemple, il a été observé dans les communautés voisines, qu’à la récréation, les garçons jouent au football et les filles à l’élastique, se rapprochant en cela des sociétés occidentales126.

L’autre particularité qui paraît plus évidente est liée au fait que les adultes participent régulièrement aux jeux, ils en sont même souvent les initiateurs. Tout, chez les Baka, peut être prétexte à la plaisanterie et au jeu. Mais il me semble que ce qui fait la spécificité de leurs pratiques c’est que la quasi-totalité des membres du village participe au jeu. Le jeu s’avère effectivement collectif et représentatif de la communauté en question. Prenons l’exemple de la liane tirée, biŋgi (cf. vidéo 8 et vidéo 9, annexe DVD) nécessitant deux équipes : les femmes se mettent d’un côté de la liane et les hommes de l’autre. Même si toutes les femmes du village ne peuvent prendre part au jeu (du fait de leur âge ou de leur santé par exemple), elles encouragent les participantes et se reconnaissent dans cette équipe. Elles estiment alors avoir gagné au même titre que celles qui ont physiquement pris part à la tâche. Comme le soulignent Laburthe-Tolra & Warnier (1993/2003 : 236) « une société se reflète dans les jeux qu’elle pratique ». Ainsi, chez les Baka, non seulement l’implication est collective mais elle est également corrélée au groupe vivant au sein d’un même village. Ce qui est très différent des sociétés occidentales (ou industrielles) où les adultes vont également se créer des jeux individuels (i.a. console vidéo), soit, mais aussi collectifs (le football étant d’ailleurs hautement populaire), or la grande différence réside dans la non-corrélation de la pratique de ces jeux avec une communauté donnée. Ce sont, par exemple, les équipes sportives (ou plus largement les membres d’un club) ainsi constituées de joueurs de tous horizons, qui vont créer de nouvelles microsociétés indépendantes de leur communauté d’origine. Nul besoin de préciser que tous les Français ne se retrouvent pas dans l’équipe de France de football, ce que les médias aimeraient pourtant faire croire, même si celle-ci gagne la Coupe du monde.

Notes
125.

Ce qui fait ressortir l’essentiel des pratiques de la communauté concernée, mais également le mode de fonctionnement de celle-ci (collectif) et ses valeurs fondamentales (l’enjeu principal est tout simplement de s’amuser, cf. jeu dansé gbàdà, vidéo 9, annexe DVD).

126.

Victimes de railleries permanentes, rares sont les enfants baka qui se rendent à l’école de Minvoul. Les quelques cas d’enfants scolarisés dans d’autres grandes villes comme Kuku (f.379) n’a pas encore, de nos jours, permis l’émergence de ce type de jeux au sein de la communauté.