La venue de l’esprit de la forêt au sein du village crée un climat particulier dans la mesure où cela va provoquer la fuite des femmes. Ces dernières ne pouvant en aucun cas être en contact avec celui-ci (cf. film de Linares), elles vont rapidement se cacher, généralement au sein des habitations dans lesquelles Edzengui ne peut entrer (les femmes peuvent crier de frayeur, ainsi que les enfants qui ont souvent peur de lui129). Il est fréquemment possible de l’entendre au loin avant son arrivée au village. A Bitouga, il emprunte indistinctement les différents chemins situés au sud du village soit ‘d’, ‘e’ et ‘f’ (cf. plan p 134). Il peut décider de venir sans raison particulière, mais généralement il est convié par les habitants au travers des appels présents dans les chants des femmes. En effet, certaines cérémonies nécessitent sa présence comme la cérémonie de fin de deuil rapportée ci-dessous.
Seuls les initiés seraient en mesure de saisir le sens profond de cette figure emblématique. Il existe un rideau de raphia au-delà duquel uniquement lesdits initiés et les anciens peuvent aller (cf. photo 17, annexe DVD). Il est situé au sud du village de Bitouga, non loin des habitations 15 et 16, à proximité du chemin ‘d’ (cf. plan p ???). Les jeunes hommes, en-deçà d’une trentaine d’années, ne peuvent y accéder (toutefois lors de la clôture de la cérémonie de retrait de deuil de Konokpelo, certains initiés ont franchi le rideau de raphia avec leurs très jeunes fils (1-2 ans) dans leurs bras), seuls les vieux (généralement au-delà de 40 ans) comme Mona (f.242), Gakolo (f.232) et Lemba (f.231) connaissent Edzengui et sont capables de comprendre et de traduire ses paroles130.
Pour la confection de la parure d’Edzengui, les hommes coupent les branches du palmier raphia [ɸèké] (raphia laurentii) dans lesquelles se trouvent les fibres jaunes [ndīmbā] qui constituent la parure, et des lanières de liane sont arrachées puis tendues d’un arbre à un autre pour servir de structure sur laquelle ces fibres seront tissées (cf. annexe DVD où la vidéo 5 montre les différents aspects de cette fabrication). Ce sont surtout les hommes qui réalisent le tissage de la parure, les femmes chantent et aident à l’extraction des fibres ; il est nécessaire de séparer les petites tiges dures [bándzī] (signifiant également « flèche ») des fibres afin de n’en garder que les longues parties souples [sūndīmbā] (litt. poil-ndimba). Ces opérations sont délicates dans la mesure où les extrémités des fibres sont très coupantes, mais cela n’empêche pas les jeunes, filles ou garçons, de s’amuser à confectionner des bracelets ou autres coiffes comme sur la photo 13 (annexe DVD). La parure d’Edzengui se compose de deux parties, une partie haute nommée [ndzòndzò] et une partie basse [sākàmbā]. Elle est généralement à usage unique, elle peut exceptionnellement être utilisée une seconde fois si elle n’est pas trop endommagée (ce qui a été le cas pour la cérémonie de retrait de deuil susmentionnée). Cela implique qu’à chaque cérémonie où Edzengui est pressenti, une parure sera confectionnée dans la journée ; pas moins de trois heures sont nécessaires à la confection de celle-ci (il est évident que le temps de réalisation varie suivant le nombre de personnes disponibles mais les hommes ont souvent d’autres choses à faire et ne viennent prêter main forte aux adolescents qu’en cas d’extrême nécessité : un enfant est alors envoyé pour appeler des hommes en renfort, généralement âgés de moins de 30 ans). Il existe plusieurs lieux propices à la confection de la parure, à ma connaissance : trois autour de Bitouga, où les palmiers qui fournissent ce type de fibres sont nombreux, il s’agit souvent d’endroits très boueux. Sur la vidéo 5 (annexe DVD), nous pouvons voir, sur le sol, des restes d’anciennes réalisations de parures. Ces fibres et branches séchées permettent notamment de ne pas trop s’enfoncer dans la boue.
Il est à noter que la confection de cette parure est une occasion supplémentaire pour renforcer la cohésion sociale non seulement au sein du village mais également de manière plus large au sein de la communauté baka. Ce phénomène est d’autant plus important lors de cérémonies de fin de deuil que de très nombreux visiteurs affluent et peuvent alors participer à cette fabrication (elle est également l’occasion pour les jeunes gens de se trouver un partenaire). De manière générale, tous les visiteurs baka participent de près ou de loin à la réalisation de ce type de cérémonie.
Résumé succinct de la cérémonie de retrait de deuil [lìbàndì]
‘Konokpelo Ndabeke (f.2), reconnu comme un grand guérisseur, sous le nom fang de Ndong Boula Azombo, est décédé en 2003. Son fils aîné, Sumba (f.1), se doit d’organiser une cérémonie de fin de deuil. Pour ce faire, il est nécessaire de réunir une somme d’argent conséquente afin de réaliser certains achats, comme des cartouches, du tissu, du pétrole ou de l’alcool. La durée prévue pour la cérémonie est d’environ une semaine, et étant donné la notoriété dont jouissait Konokpelo, beaucoup de personnes vont se déplacer en son honneur. Le début des festivités est fixé au mardi 27 juillet 2004 pour se terminer le lundi 2 août. Le dimanche de la semaine précédente, soit le 25 juillet, Sumba envoie six personnes en forêt131 pour lui ramener du gibier afin de nourrir les invités attendus. Les chasseurs partent pour cinq jours avec quatre fusils, dont trois fusils de calibre 12, et seulement deux cartouches. Quant à la nourriture, ils n’emportent que quelques tubercules. Ils se construiront des huttes mbere rapides à réaliser.Quelquefois, l’argument de la venue d’Edzengui peut servir à faire obéir (ou entendre raison) à un enfant.
Lorsqu’il arrive au village, surtout pour des cérémonies particulières, comme le deuil, au bout de quelques minutes, l’esprit de la forêt peut demander tout simplement à se sustenter (eau et alcool, et nourriture).
Il s’agit de Meme, Amaya, Mesono, Gakolo, Mona et Somva, soit respectivement, son frère, son oncle utérin, le mari de sa nièce, et les trois derniers du lignage ‘likemba’ dont Somva, « frère religieux » de Meme (cf. partie alliance), et Gakolo son père.
Un Fang, chef de village, dont l’anonymat sera préservé, arrivé avant le début des festivités ne restera que deux nuits, demandant à être prévenu du jour J. (il ne sera pas revu par la suite). Il a épousé une Baka avec qui il a eu 7 enfants dont 2 sont décédés ; il vient en tant que famille par alliance du défunt. Il s’indigne lors de notre entretien quand il s’agit d’envisager un éventuel mariage de sa fille qui l’accompagne avec un Baka.
Les familles doivent avoir un certain niveau de vie pour arriver à mettre en place cette pratique, Pither Medjo-Mvé, communication personnelle, DDL, Lyon, décembre 2006.