Conventions de représentation des relations

Pour représenter les schémas de la parenté, les codes ci-dessous ont été utilisés :

3.2.1 Les dénominations de parenté

La collecte des termes de parenté pose de prime abord le problème du ou des référents desdits termes. Force est de constater non seulement que notre propre système142 ne peut en aucun cas rendre compte de toutes les réalités culturelles mais surtout qu’il place, de fait, l’observateur dans une démarche de détachement de ses propres valeurs et habitudes si celui-ci cherche à cerner la logique interne propre à la société étudiée. Ce constat, valable pour toutes recherches de terrain, implique de prendre certaines précautions quant aux significations des donnés collectées ; les concepts des termes répertoriés étant très souvent différents des nôtres.

A ma connaissance, la terminologie de la parenté baka, [mòbìlà]143, a uniquement fait l’objet d’études descriptives mais non explicatives. C’est pourquoi je me propose de présenter la nomenclature de parenté à partir de fiches réalisées par Bouquiaux & Thomas (1971), figurant en annexe (cf. 6.2.3), auprès des Baka de la région de Minvoul144. Je me suis attachée à collecter deux nomenclatures : l’une à partir d’un Ego masculin, l’autre à partir d’un Ego féminin, en tenant compte de divers critères positionnant les différents termes du système d’appellation (âge relatif, etc.) et de la distinction entre système de référence et système d’adresse. En outre, le système baka sera comparé à celui de leurs voisins fang afin de cerner, d’une part, les spécificités de la nomenclature baka, et, d’autre part, de mettre en évidence les changements induits par des phénomènes de contact.

Au vu des fiches de parenté collectées, il apparaît nécessaire de faire une distinction entre les termes dits primaires et les termes dits secondaires. Généralement les termes primaires sont simples et les secondaires composés (constructions génétivales ou autres). Deux connectifs sont principalement utilisés pour les constructions génétivales, il s’agit de [à] et [nà], tous deux marquant la relation « possessive » (de dépendance ou d’appartenance) et se traduisant par « à » ou « de » (voire « en ») en français, suivant les contextes. Le ton de ces particules peut être sujet à variation en fonction des tons adjacents. Ainsi Brisson (2002) a constaté que le ton généralement bas est réalisé moyen lorsqu’il est suivi d’un ton bas145.

La désignation d’un même individu peut donc être réalisée soit directement à l’aide du terme de référence – il s’agit généralement d’un terme primaire « opaque » étymologiquement, c’est-à-dire que l’étymologie s’avère difficile ou impossible à établir (les significations ne sont plus directement perceptibles) – soit grâce à une description de relation prenant souvent la forme d’une construction génétivale « transparente » du point de vue étymologique – cette dénomination peut s’avérer relativement longue comme « l’enfant cadette de la mère de mon père » pour désigner la sœur cadette du père. Ces secondes déterminations, qui ne sont pas stricto sensu des termes de parenté mais qui relèvent néanmoins de ce domaine, apparaîtront à titre indicatif sur les schémas figurant en annexe . Par ailleurs, certains individus ne sont désignés que par un terme secondaire composé d’un terme référent simple auquel a été ajouté « mari » ou « épouse » ; comme par exemple le mari de la tante maternelle [kɔ̄-ɲúā-lè] (litt. mari-mère-moi), l’oncle maternel par alliance (cf. 6.2.3.1).

Figure 47. Schéma de termes en concurrence
Figure 47. Schéma de termes en concurrence

Pour les termes de « père » et « mère », il existe plusieurs termes en concurrence tant sur le plan des termes de référence que sur les termes d’adresse (donc deux, voire trois, paradigmes différents). Toutefois, il semble qu’une distinction est faite entre la désignation de son propre « père » (ou « mère ») et le « père » (ou « mère ») en général. Ainsi, les termes de [ɲúālè] et [ɲùālē] seraient réservés à la première situation et les termes de [ɲíbō] et [ɲîbō] pour la seconde (les locuteurs de Bitouga ayant précisé que dans certaines situations problématiques entre le père et un de ses frères, Ego utilise volontairement cette seconde appellation (à valeur générique), au lieu de la première, pour marquer la différence). Cette distinction se reflète d’un point de vue sémantique dans la mesure où ɲi renvoie à « père » ou « mère » suivant l’intonation et bo à « humain ». Ainsi, il est possible de dire ɲiboo 146 les « pères » ou les « mères » d’une manière générale pour désigner tous les pères ou mères, ceux de la famille d’Ego inclus ; la forme *ɲuao n’étant pas attestée. Par contre, lorsqu’Ego veut préciser s’il s’agit de son parent ou du parent de son interlocuteur, il ne peut utiliser que la forme dépendante ɲua- + pronom personnel, comme par exemple, « mon père » [ɲùā-lè] (litt. père-PP1S) ou « ta mère » [ɲúā-mò] (litt. mère-PP2S) ; les formes *ɲi-bo-le 147 ou *ɲi-le-boou *ɲi-le n’étant pas acceptées148.

Avant d’aborder les termes de référence puis les termes d’adresse, il est important de commenter certains termes que l’on retrouve systématiquement dans les données récoltées. Il s’agit notamment de [ŋgbɛ̄ŋgbē] signifiant « grand149, grandeur » (où V1 est réalisée fermé en isolation), de [gbébā-] renvoyant à « l’aîné » (nom dépendant, où T2 est réalisé H en isolation dans les conditions spécifiques d’élicitation150), de [tàdī] « cadet » et [-lè] référant au pronom personnel de 1ère personne du singulier (PP1S) « moi ». La majorité des termes des fiches sont dépendants et « appellent » nécessairement une finale, c’est pourquoi le pronom personnel est fréquemment ajouté dans ce contexte particulier d’élicitation. Nous verrons également qu’aux générations G-2 et G-3, les locuteurs peuvent s’ils le souhaitent ajouter [nà-ŋgbɛ̄ŋgbē] litt. conn.-grandeur, signifiant en quelque sorte « les grands », les « anciens » des générations supérieures. Les locuteurs n’ayant parfois jamais côtoyé ces individus, la majorité des ascendants à G-2 étant décédée, la référence à ces ancêtres appartient très souvent au domaine de l’abstrait (exercice souvent inhabituel). Cette remarque est d’autant plus valable pour G-3. J’ai ainsi précisé sur chaque fiche les formes composées récurrentes possibles pour ces générations même s’il ne s’agit que de descriptions qualificatives facultatives.

D’autres termes sont également omniprésents dans les données récoltées, et pour cause, puisqu’il s’agit d’une personne de sexe féminin [wɔ́sɛ̀] « femme, fille » et d’un individu de sexe masculin [múkɔ́sɛ̀] « homme, garçon ». Il est possible de reconnaître certains éléments significatifs dans ces termes, à savoir [wɔ́-] référant à « femme, épouse », s’agissant d’une marque de féminin, et [kɔ̄-] renvoyant à « mari, époux », ayant surtout valeur de marque de masculin. Le préfixe [mú-] fait de suite penser au préfixe nominal bantu de classe 1utilisé pour référer aux humains.

  • Soit, suivant l’idée de Bahuchet (1989) les Baka parlaient autrefois une langue bantu commune à celle des Aka de RCA (le *baakaa). Il s’agirait dans ce cas d’un ancien préfixe bantu fonctionnant actuellement comme un préfixe figé.
  • Soit il s’agirait d’un emprunt plus récent dû aux contacts des Baka avec des villageois bantu.

Plusieurs éléments s’avèrent davantage en adéquation avec la seconde solution. Le premier concerne le ton dudit préfixe, en bantu, ce ton est bas alors qu’en baka il est haut. Le second élément est le terme [mókɔ́sɛ̀] « homme » donné par Brisson (2002) où V1 est légèrement plus ouverte. Par ailleurs, il existe deux termes [mɔ̀mɔ́kɔ́] et [mɔ́kɔ́] signifiant « mâle », soit [-là-lè] « mon garçon, mon fils » (litt. mâle-enfant-PP1S). Ainsi, il est possible d’envisager un changement de la sorte *mɔ́kɔ́sɛ̀ > mókɔ́sɛ̀ > múkɔ́sɛ̀, par analogie au fonctionnement du préfixe nominal de classe 1, du fait de contacts réguliers, voire permanents, des Baka avec certaines communautés bantu.

Quant à l’étymologie de [-sɛ̀], particule commune aux deux termes, je me permets une digression hypothétique mais tout à fait plausible en proposant de la rapprocher de [sɛ̀sɛ̀]151 dénommant la dernière sœur du dieu Komba. Dans les différents contes qu’a collectés Brisson, Sèsè est détentrice du savoir, ou plutôt des divers savoirs relatifs à la vie forestière. C’est généralement à elle que l’on fait appel pour résoudre les énigmes, les problèmes. D’après Brisson (2002) S ɛ s ɛ a été la première à être guérisseuse, comme lui a demandé son frère Komba. Elle est considérée comme la personnification de la vérité. S ɛ s ɛ était la benjamine et ne s’est pas mariée ; certains enfants, en position de benjamin dans la fratrie reçoivent cette appellation, au même titre que [mɔ̀sūkà]. D’après les contes, elle n’aurait pas eu d’enfants. Je pense alors que son savoir a été transmis, en partie peut-être car les humains ne sont pas des dieux, aux hommes et aux femmes afin que ceux-ci puissent vivre dans la forêt. Ainsi, les Baka vivent en harmonie dans cet environnement forestier, considéré comme leurs parents nourriciers. Ils seraient, en quelque sorte, l’homme et la femme de la vérité, les représentants humains du savoir forestier sur terre ; ou inversement, S ɛ s ɛ serait la représentante spirituelle des Baka de ce monde. Le rapprochement proposé ici n’est pas nié par les Baka eux-mêmes mais ils ne le confirment pas pour autant. Toutes les problématiques touchant de près ou de loin au domaine mystique peuvent être abordées mais ne reçoivent bien souvent aucune réponse ; le secret étant l’élément constitutif fondamental de ce domaine.

Notes
142.

De type eskimo, en ce qui me concerne, d’après Laburthe & Warnier (1993 : 69).

143.

Ce terme mobila en baka renvoie à la parenté collatérale.

144.

Je tiens à préciser qu’il s’agit de la région de Minvoul car j’ai, par ailleurs, effectué ce même type d’enquête auprès de deux informateurs (deux hommes, l’un âgé d’une vingtaine d’années et l’autre avoisinant la soixantaine) de la région de Makokou et certaines réponses se sont avérées divergentes. Il est intéressant de noter que certains termes de Makokou ne sont pas acceptés par les Baka de Minvoul, et inversement. La variété baka de Makokou étant proche de celle du Cameroun (cet aspect a déjà été souligné dans le chapitre 1 concernant les variations phonétiques), il est possible d’envisager des changements spécifiques au sein des communautés de Minvoul qui tendent à s’isoler depuis les différentes politiques de sédentarisation mises en place dans ces deux pays limitrophes que sont les Cameroun et le Gabon. Un terrain spécifique au domaine de la parenté auprès d’un plus grand nombre d’informateurs dans la région de Makokou permettrait de révéler, d’une manière plus sûre, les différentes variantes des deux parlers. Ce travail comparatif donnerait également la possibilité de relever les phénomènes de contact, et les changements induits, entre le baka et la langue voisine en fonction des spécificités de celles-ci (le fang à Minvoul et le bekwil à Makokou).

145.

N’ayant pas fait d’étude tonale systématique en situation pour confirmer (ou infirmer) ces remarques, cet aspect devra faire l’objet d’une étude ultérieure à cette thèse.

146.

Cf. schéma ci-dessus pour la distinction tonale.

147.

bo ne se place pas uniquement en finale comme l’atteste l’exemple de [bōkɔ̀βɛ̄] « tous les hommes », toutefois il n’est pas ici suivi d’un nom dépendant puisque [kɔ̀βɛ̄] signifie « tous ». Cette restriction grammaticale devra être examinée de plus près dans une étude ultérieure.

148.

Il semblerait que cette dernière forme soit acceptée dans la région de Minvoul et non dans celle de Makokou. Une étude ultérieure plus approfondie permettra de répondre à cette question.

149.

La signification première est « grand de taille » et par extension « grand par l’âge » pour renvoyer aux générations ascendantes comme les grands-parents.

150.

Chez Brisson, l’aîné est [ŋgbébá], avec une nasale homorganique non perceptible dans la variété gabonaise surtout en position initiale absolue (cas des élicitations en isolation). Néanmoins, il est possible de retrouver cette nasale vélaire dans quelques termes comme, par exemple, [kɔ̄ŋgbébāwālè], désignant le mari de la grande sœur de l’épouse (cf. fiche Alliance Ego Masculin, annexe ).