Comme pour les notions de père et de mère, les termes de « frère » et « sœur » doivent être étendus au-delà des germains. Tous les enfants des frères et sœurs du père font partie des « germains classificatoires », de même du côté maternel où tous les enfants des sœurs et frères168 de la mère entrent dans cette catégorie.
Il est possible, comme pour les autres catégories classificatoires susmentionnées, de préciser non seulement le rang dans la fratrie de chaque individu (cf. le critère d’âge relatif ci-après) mais également de situer ces « germains » en fonction du parent référent côté paternel ou maternel. Grâce aux appellations descriptives, les enfants de l’aîné des pères peuvent effectivement être nommés de la sorte [là-(ŋ)gbébā-ɲùā-lè] (litt. enfant-aîné-père-mon)169 ; de même pour les enfants du père cadet avec la variante [-tàdī-]. Le même principe prévaut pour les enfants des sœurs de la mère avec [làgbébáɲúālè] et [làtàdīɲúālè]. Quant aux enfants des sœurs du père, ce sont des [là-kàā-lè], et les enfants des frères de la mère des [là-títà-lè] (ou [làlèo] comme ses propres enfants pour Ego masculin).
Comme déjà mentionné, le critère d’âge relatif, que l’on pourrait considérer comme « facultatif » pour nommer la génération G-1 (et au-delà), est essentiel pour la génération d’Ego. Les termes d’« aîné » [gbébá-] et de « cadet » [tàdī-] constituent la base d’appellation des « germains classificatoires » d’Ego de même sexe que lui (cf. schémas ci-dessus). En effet, à cet endroit, le système d’appellation est « symétrique » entre un Ego masculin et un Ego féminin. C’est-à-dire que les termes utilisés par Ego masculin pour nommer ses « frères » seront identiques aux termes utilisés par Ego féminin pour appeler ses « sœurs », soit [gbébā-lè] (litt. aîné-PP1S) et [tàdī-lè] (litt. cadet-PP1S). De même, les appellations des « sœurs » d’Ego masculin vont correspondre à celles employées par Ego féminin pour ses « frères » soit [là-ɲúā-lè] (litt. enfant-mère-PP1S), ou encore dans des conditions particulières énoncées précédemment [là-ɲî-bō] (litt. enfant-mère-humain).
Les germains classificatoires de sexe opposé à Ego sont désignés en fonction de la relation de filiation maternelle qui les unit avec lui, puisque Ego les nomme « enfants de ma mère ». Cet aspect peut se comprendre dans la mesure où les germains de sexe opposé sont de même lignée mais ne donneront pas des enfants de lignée identique du fait que la transmission lignagère est patrilinéaire. Or, la lignée maternelle étant également très importante. Ego hérite de cette lignée sans son appellation mais la rend visible, « audible » grâce à ces désignations spécifiques. La relation lignagère qui existe entre les enfants de son germain de sexe opposé, considérés comme ses propres enfants alors que leur lignée déclarée (i.e. appellation) est différente, ressemble à celle de sa mère et des parents de celle-ci. Les liens existent même s’ils ne sont pas visibles dans l’appellation lignagère. Il s’agirait d’une stratégie de rééquilibrage des collatéraux, dans une dynamique de filiation complémentaire.
D’après Thomas170, les Ngando (Bantu, C10) et les Monzombo (anciens voisins des Baka) utilisent également l’expression signifiant littéralement « enfant-de-maman » pour désigner leurs frères et sœurs. Dans les contes gbaya, d’après Roulon171, appeler quelqu’un « enfant de ma mère » veut référer à l’idée d’un partage de lignée différente de celle de son père et ainsi marquer le lien de parenté.
Tous les enfants des pères et des mères classificatoires sont des « germains classificatoires », ce qui sous-entend que tous les cousins d’Ego sont intégrés à cette catégorie de « germains » ainsi que les enfants des frères du père d’Ego (considérés comme des « pères » cf. ci-dessus).
Finalement,les termes utilisés pour désigner les « germains », tadi- ou gbeba- et laɲua-, ne comportent pas d’information de genre intrinsèque, il en est de même pour bɛndɛ et gile (comme nous le verrons ultérieurement)172. Excepté pour gile, le genre des personnes nommées par les quatre autres termes est identique au référent (i.e. Ego). Ce phénomène correspond au cinquième critère de Kroeber cité par Godelier (2004 : 212) pour la terminologie de la parenté,à savoir « le sexe de celui qui parle » qui va déterminer le genre du nommé.
Cette symétrie est intéressante du fait qu’elle est spécifique aux Baka, comparativement au système fang qui n’accepte qu’une symétrie partielle, dans la mesure où les termes pour désigner les germains de sexe opposé à Ego divergent en fonction du genre.
Il est à noter (comme évoqué en note de bas de page) que les enfants de tita, intégrés à la catégorie des « germains classificatoires » sont également considérés comme les « enfants virtuels » d’Ego masculin dans la mesure où il existe un néposat. Dans le cas du décès d’un frère de la mère, Ego aura à sa charge les enfants de cet oncle utérin décédé, au même titre que ses propres enfants. C’est pour cette raison, qu’Ego masculin peut appeler ces individus [là-lè-o] (litt. enfant-PP1S-plu.)173. La situation est totalement différente pour Ego féminin, puisque celle-ci ne peut en aucun cas « hériter » de l’épouse de son oncle tita. Aussi, elle ne peut désigner ces enfants comme les siens (cf. 6.2.3.3). Par contre, ces enfants peuvent également être nommés [là-títà] par Ego indifférencié. De la même manière, les enfants des « pères aînés » seront appelés [là-gbébā-ɲùā-lè] et ceux des « pères cadets » [là-tàdī-ɲùā-lè], ou plus généralement [gbébālò] et [tàdīlò] provenant de /gbeba-le-o/ (litt. aîné-PP1S-plu.) et /tadi-le-o/ (litt. cadet-PP1S-plu.), signifiant respectivement « mes aînés » et « mes cadets » lorsque cette dénomination peut effectivement s’appliquer en fonction des règles préalablement énoncées.
D’après les Figure 53 et Figure 54 des germains classificatoires ci-dessus, la nomenclature baka à la génération d’Ego (G0) est de type hawaïen (exception faite de la désignation laleo des enfants de tita pour Ego masculin). Or, nous avions vu précédemment qu’à la génération G-1, le système baka était de type iroquois174. Il s’agirait donc d’un système combinant deux types de nomenclatures différentes en fonction des générations.
La nomenclature de parenté baka paraît donc différente de celle des Fang à cette génération car chez ces derniers, d’après Médjo Mvé176, les enfants de l’oncle utérin sont soit désignés comme ledit « oncle maternel » pour les enfants de sexe masculin, soit désignés comme la mère d’Ego pour les enfants de sexe féminin177.
D’après Joiris (1998 : 36) : « Le système de parenté baka est à tendance Omaha. Il s’apparente ainsi à celui des villageois voisins comme les Kwele. » Ce qui est une preuve supplémentaire de l’adaptation des Baka aux systèmes voisins quelque soit le domaine. Une étude ultérieure plus approfondie et intégrant une approche comparative entre les deux communautés baka du Cameroun et du Gabon, rendrait compte de ces différences, ainsi que de la complexité des systèmes.
Pour Ego masculin, les enfants des tita sont ses « germains » mais également ses « enfants » au vu du néposat.
Comme évoqué précédemment, la nasale homorganique relevée dans les données de Brisson (2000) peut effectivement apparaître dans certains contextes ou suivant le dialecte baka et/ou l’idiolecte du locuteur au sens où l’entend Wolff (2000).
J.M.C. Thomas (2008), données inédites sur la parenté ngando et monzombo. Communication personnelle, St Martin au Bosc.
P. Roulon (2010), Communication personnelle, Laboratoire DDL, Lyon.
Le terme gile qui, d’un point de vue classificatoire regroupe toute la belle-famille, est utilisé globalement aux générations ascendantes d’Ego (G-1 et G-2, etc.) et ne permet pas d’induire le genre des personnes nommées. Par contre, à la génération d’Ego, ce même terme fonctionne différemment puisque les personnes ainsi appelées sont de sexe opposé à l’énonciateur (cf. infra).
L’écart de génération va jouer un rôle considérable dans cette situation. En effet, si les enfants de l’oncle tita font partie de la même classe d’âge qu’Ego, il les considèrera davantage comme ses « germains classificatoires ». A contrario, si les enfants sont plus jeunes que lui et appartiennent plutôt à la génération de ses propres enfants (G+1), alors il utilisera plus aisément l’appellation laleo.
D’après Murdock cité par Laburthe-Tolra & Warnier (1993 : 69).
Cité par Laburthe-Tolra & Warnier (1993 : 69).
P. Médjo Mvé (2010), Communication personnelle, Laboratoire DDL, Lyon.
Toutefois, les données collectées par Mayer (2002 : 118) auprès des Fang, se rapprochent davantage du système baka. Il s’avère donc important de prendre en compte les variations internes à chaque communauté.