3.2.2 Filiation, anthroponymes, clans et lignages

Avant toute chose, je tiens à éclaircir les termes de clan et lignage souvent employés indistinctement du fait d’un manque de précision lié aux données récoltées et/ou parce que la distinction n’existe pas (ou plus).

‘« Le clan est un groupe de filiation unilinéaire (patriclan ou matriclan) comprenant un certain nombre de maisonnées qui prétendent descendre d’un même ancêtre légendaire ou mythique. […] Le clan comprend un certain nombre de lignages exogames… ».’

Sur la base de ce propos de Rivière (1999 : 56), je pourrais être amenée à croire qu’en baka le terme de renvoie à « lignage » et le terme de mbì à « clan ». En effet, lorsque nous nous référons aux fiches généalogiques (cf. 6.2.4), la règle d’exogamie constatée concerne les « lignages » indiqués sous la forme ye-wala, ye-ndumu, etc. Toutefois, le critère d’exogamie n’est pas pertinent pour distinguer ces deux notions dans la mesure où le clan peut également s’avérer exogame d’après Laburthe-Tolra & Warnier (1993 : 65).

‘« Le clan… est un groupe de parents fondé sur une règle de résidence territoriale et de descendance unilinéaire. […] Le clan est généralement exogame… »’

D’autres précisions, que donne en particulier Mayer (2002 : 39), s’avèrent nécessaires.

‘« Un clan est le groupe de parenté qui a précédé le lignage (…) Un lignage est défini par une suite généalogique. Celle-ci est récitée non pas en juxtaposant les noms des ancêtres les uns aux autres, mais en établissant à chaque fois le lien de filiation.»’

On peut donc considérer qu’un clan est un groupe de descendants de plusieurs lignages au sein duquel tous les membres se disent apparentés à partir d’un ancêtre unique, souvent mythique et zoomorphe, mais sans pouvoir définir avec précision leurs liens de parenté. Par contre, un lignage est vu comme un groupe de descendants dont les membres peuvent définir leurs liens de parenté à partir d’un ancêtre, anthropomorphe et historique, commun. Autrement dit, un clan est un ensemble d’individus se réclamant d’un même ancêtre mythique et zoomorphe ; un lignage est un ensemble d’individus se réclamant d’un même ancêtre historique et anthropomorphe.

‘« Mais il arrive souvent que le clan soit, à l’inverse du lignage, une réalité lointaine dont les membres sont dispersés. […] Dans un lignage, chaque membre peut (de fait ou de droit) établir le lien précis qui l’unit à tout membre du même lignage ; il peut remonter à l’ancêtre commun historique et le nommer… » Laburthe-Tolra & Warnier (ibid.).’

Ce sont les derniers propos de ces auteurs qui peuvent éclairer sur une éventuelle distinction entre ces deux termes. Effectivement, les Baka n’ont pas la possibilité de donner le nom de l’ancêtre fondateur des individus yendumu ou yewala par exemple. Il s’agirait donc plus d’un clan que d’un lignage. Les données de Brisson (2002), viennent en partie corroborer cette idée puisque l’auteur propose « clan, famille » pour yèe et « famille, espèce » pour mbì. Ce dernier terme signifierait-il lignage ?

Suivant l’ordre d’inclusion décroissante présenté par Rivière (ibid : 57) : « ethnie, tribu, clan, lignage, famille, ménage, individu. », les mbi seraient inclus dans les ye.

Or, il s’avère nécessaire de préciser que les données (ye-ndumu, ye-wala, etc.) ont été récoltées à l’aide d’un questionnement intégrant le terme mbi. Ainsi, ces deux termes sont souvent employés indistinctement pour référer aux divers « clans » répertoriés. Cette pratique linguistique serait-elle révélatrice d’une perte de distinction, ou ne serait-ce que le reflet de chevauchement de champs sémantiques plus larges que l’on voudrait restreindre ?

Le point de vue grammatical peut aider dans la mesure où la forme mbi est indépendantecontrairement à yè- qui est dépendante. Il y aurait donc deux signifiants pour un même signifié « clan », avec la possibilité d’une étendue différente des champs sémantiques de chacun des termes suivant les contextes. D’après Creissels196, cette situation n’est pas rare, et la forme dépendante renvoie généralement à une signification plus large, plus abstraite. Dans ce cas précis, ce serait plutôt l’inverse, ye- renvoyant à « clan, famille de l’homme » et mbi à « clan, famille, espèce ». Ce dernier terme ayant un champ sémantique plus large appliqué notamment à la faune et à la flore.

‘« Les concepts de clan et de lignage, chers à l’anthropologie classique, ont tendance dans la majeure partie des cas observés au Gabon à se confondre. » (Agyune Ndone, 2009 : 269).’

Toutefois, certains indices offrent des pistes intéressantes pour des recherches ultérieures concernant une éventuelle distinction entre clan et lignage. En effet, si nous nous référons à la fiche de Famda (cf. annexe 6.2.4.27), concernant son arrière grand-mère paternelle, Ego a donné spontanément Ndenguma pour mbì et Mombito pour lorsque l’échange a eu lieu à l’écart des locuteurs fang donc uniquement en langue baka et à l’aide de la forme mbì. Batoua a d’ailleurs précisé que Ndenguma renvoit au clan mombito de Souanké au Congo. Deux questions se posent.

­Est-ce que Ndenguma est un lignage (mbì) inclus dans le clan () mombito ? Ou s’agit-il de deux clans correspondants (cf. double nomenclature baka partie 3.2.2.3) ?

Est-ce que les Baka ont fourni les clans (listés ci-après) sachant qu’ils englobent des lignages non spécifiés dans nos données à l’exception de Ndenguma ?

Cette seconde possibilité est d’autant plus envisageable si je m’appuie sur les propos de Thomas (1963 : 83), dans la mesure où Ndenguma est également un anthroponyme.

‘« Le nom même, qui désigne l’ensemble des membres d’un lignage et qui signifie « les gens de Untel », parfois et plus rarement « les fils de Untel », révèle assez bien ce caractère du groupement. Pourtant on a souvent voulu y voir, et notamment tous les rapports administratifs les considèrent ainsi, des « clans » ayant « totems » et « tabous », en s’inspirant de vagues connaissances ethnographiques, très en vogue au siècle dernier. »’

De plus, cela permettrait de comprendre certains mariages identifiés en tant qu’alliance lignagère endogame alors qu’il s’agirait d’alliance clanique, considérée comme généralement exogame donc pouvant accepter quelques exceptions, contrairement aux lignages. D’autres enquêtes plus approfondies, incluant de nouveaux éléments, s’avèrent donc nécessaires afin de tenter de répondre à cette problématique ; en outre, les notions de totem et/ou d’ancêtres mythiques communs n’ont pas été abordées dans les entretiens et n’ont pas fait l’objet d’études systématiques.

Notes
196.

Communication personnelle, Laboratoire DDL, Lyon, mars 2010.