3.2.2.3 Les différents types de clans et les correspondances baka-fang

En présence de Bantu, les Baka déclament généralement leur identité avec leurs anthroponymes fang et le clan fang correspondant au clan baka. Il existerait donc une correspondance entre les différents clans. Cela pourrait renvoyer en quelque sorte à la notion de « parenté sociale » telle que l’entend Rivière (1999 : 52) où « une descendance purement mythique à partir d’un totem commun » serait reconnue.

Pour autant, les tabous alimentaires associés aux différents clans ne correspondent nullement (cf. partie suivante) et les Baka ne revendiquent pas d’ancêtres mythiques communs avec les Fang, seuls ces derniers peuvent parfois le prétendre. Il s’agit plutôt de stratégies socioéconomiques prenant racine dans la mise en place de correspondances purement fictives, renvoyant à d’anciennes relations amicales (créées lors d’échange par troc) entre certains individus fang et d’autres baka. Ces ententes, reconnues socialement, ont été traduites par des correspondances claniques/lignagères et anthroponymiques sans véritable fondement mythique lié à un éventuel totem commun. Néanmoins, il est possible de parler de parenté sociale dans la mesure où il est question d’alliances entre différents membres des deux communautés impliquant généralement certaines conduites spécifiques des parties en présence. Les parents fang devront protection et interféreront auprès de diverses autorités en faveur des Baka ; en contrepartie, les chasseurs-cueilleurs se devront de rapporter des gibiers de qualité, ou d’autres produits forestiers (miel, vers de palmier, etc.), à leurs « protecteurs ». Les choses ne sont pas aussi simples et ne reflètent nullement toute la complexité des relations sociales existantes, mais cela donne un rapide aperçu des stratégies mises en œuvre dans l’établissement de liens socioéconomiques entre deux communautés au mode de vie divergeant. Certains auteurs parlent de ces correspondances comme un moyen supplémentaire d’une communauté d’asseoir sa domination sur une autre communauté (généralement minoritaire). Ainsi Lewis (2000 : 5) indique que certains chasseurs-cueilleurs de la République du Congo réfutent ces correspondances.

‘« Les Mbendjele rejettent ces liens de parenté fictionnels qui sous-tendent cette autorité clamée par les villageois à leur encontre »205.’

La situation est différente dans la région de Minvoul où il est intéressant de noter que ces correspondances sont autant validées par les Baka que par les Fang.

Comme nous pouvons le voir dans le tableau ci-dessous, à l’instar des anthroponymes, les différents clans renvoient également à différents domaines tels la faune, la flore, les instruments… Il existe une double nomenclature baka associée à des correspondances claniques fang. Autant certaines correspondances claniques baka/fang ont pu être répertoriées dans la littérature spécialisée (cf. Mvé Mebia, 2001 : 25), autant la double nomenclature baka n’a, à ma connaissance, jamais été évoquée. En effet, ces équivalences ne sont généralement jamais fournies par les Baka qui déclarent spontanément leur correspondance clanique fang, ne donnant leur clan baka seulement si l’interlocuteur insiste ou s’adresse à eux directement en langue baka. Ce n’est donc que récemment qu’il m’a été possible de collecter d’autres appellations claniques baka qui s’avèrent être des équivalences des premières recueillies. Cette double nomenclature est fournie dans une même case de tableau ci-dessous lorsque celle-ci a pu être renseignée. D’un point de vue sémantique, les équivalences peuvent être synonymes ou très éloignées206 (comme cela est généralement le cas pour les correspondances).

Figure 64. Tableau de la double nomenclature clanique baka et des correspondances fang
Figure 64. Tableau de la double nomenclature clanique baka et des correspondances fang

Sur les 25 termes de clans répertoriés, nous trouvons huit termes appartenant au domaine de la flore, sept termes concernant la faune, sept termes d’écologie environnementale (phénomène naturel) ou qui s’y rattache, deux termes d’instrument de musique, et enfin, un terme dont la signification n’a pu être définie.

Certains clans n’ont été relevés qu’une seule fois207, il s’agit généralement des générations G-3, voire G-2 relatives à un Ego au moins âgé d’une quarantaine d’années. Ces clans étaient associés à des femmes, c’est pourquoi ils n’ont pas été transmis aux enfants conçus en mariage (le matriclan n’apparaît qu’en l’absence du versement de la dot, cf. 3.2.3.1 ci-après). Ils ont ainsi disparu du paysage clanique dans la région de Minvoul où les Baka demeurent peu nombreux. Ces clans sont très certainement encore présents au Cameroun d’où provenaient ces ancêtres répertoriés sur ces fiches généalogiques. Le clan ndumu (cf . fiche de Mosolobo, annexe 6.2.4.8) vient de son grand-père maternel issu du Congo, appellation non répertoriée chez Brisson (1984) or d’après Leclerc (2001 : 115) le clan ndùmù est également présent au Cameroun.

Sur les 29 clans répertoriés chez cet auteur (ibid.), 15 sont identiques208 ou varient légèrement phonétiquement en fonction des variantes précédemment indiquées dans le chapitre 1 (excepté ndɔ̀ngɔ̀ correspondant à ndōŋgō). Quatre clans répertoriés n’apparaissent pas chez Leclerc (ibid) dont parmi eux ndzembe’ qui est de loin le plus rencontré dans la région de Minvoul pour des individus pourtant déclarés originaires du Cameroun. A contrario, Brisson (ibid.) fait état de ce clan dans les 35 qu’il dénombre209.

Sur les 39 fiches en annexe 6.2.4, les clans ndzembe, likemba, mombito, makombo et ekuambe sont omniprésents et dans une moindre mesure mbongo et ndonga. Etant donné les dynamiques actuelles de sédentarisation et de tendance aux transgressions des règles par les jeunes générations demeurant à Mféfélam – où deux jeunes issus d’un même clan se sont mariés, attitude scandaleuse et inacceptable pour la majorité des Baka de cette région (cf. partie 3.2.3.1) – il semble inéluctable que le nombre de clan va encore diminuer.

Par ailleurs, plusieurs histoires relatives à la création du nom de clan ont été contées. Toutes ont la particularité d’être reliées à la mort d’une personne, événement déclencheur de la dénomination du clan. J’en mentionnerai trois ici.

Le lien sémantique entre les histoires et les dénominations claniques demeure opaque pour les deux dernières ; les informateurs ayant d’ailleurs spécifiés qu’il n’y avait pas de lien entre le nom du clan et la nourriture appréciée par les membres dudit clan.

Notes
205.

« The Mbendjele reject the fictional kinship links that underpin the villagers’ claims to authority over them. »

206.

Il ne m’a pas été possible de vérifier si cette double nomenclature correspondait éventuellement à des statuts particuliers (initié vs non initié…).