3.2.2.4 Clans et interdits alimentaires

Il existe certains interdits alimentaires liés au clan (ou lignage) d’appartenance, souvent en relation avec la signification de celui-ci. A titre d’exemple, les Mbongo ne consommeront pas de cette « antilope » (Boorcercus euryceros). A ceci, peuvent s’ajouter d’autres types d’interdits (distincts des interdits claniques), généralement ponctuels, liés à des situations particulières (grossesse, maladies, fabrication d’instrument, âge et/ou statut de l’individu (initié vs non initié), etc.). Les représentants les plus anciens d’un clan au sein d’un groupe peuvent consommer certains animaux proscrits aux autres membres dudit clan, et inversement.

D’une manière générale, il n’existe pas d’interdit concernant la consommation de la panthère ou du serpent noir mais les Baka préfèrent ne pas la manger afin de se protéger des mauvais esprits. Lorsqu’ils ont tué une panthère, ils vendent la viande aux Fang qui la consomment. Quant à la civette, certains se targuent d’en manger et d’autres refusent totalement de le faire. Le statut particulier de cet animal, sa peau étant utilisée pour de nombreux rites initiatiques ou autres, a rendu la collecte de données quelque peu complexe lorsqu’il s’est agi d’aborder ce sujet finalement « tabou » (réponses évasives, voire pas de réponse du tout).

La collecte de données n’ayant pas comme objectif de répertorier les divers interdits alimentaires (en fonction des situations, de l’âge, du sexe, etc.), et en particulier ceux liés à l’appartenance clanique et/ou lignagère, les renseignements obtenus ont été complétés dans la mesure du possible dans le tableau suivant.

Figure 66. Aperçu de quelques interdits alimentaires en fonction des clans
Lignages ou clans baka Interdis alimentaires
èkūāmbē
ŋgūlūmā
le gorille, le daman, l’antilope noire et bien entendu le petit éléphant qui marche seul
èsìlò
kpōŋgbō
antilope noire, daman, boa, varan, gorille, mandrill 217
èsōlò
gbōmòngō
antilope noire, boa, varan, gazelle, pangolin 218
lìkɛ̀mbà panthère, serpent noir, tortue, varan 219
màkòmbò
mōmā
fruits de l’arbre kòmbò : Musanga cecropioides
màmbè le singe du même nom
mbɔ̀ŋgɔ̀
sāndzā
Boorcercus euryceros, boa, varan, chimpanzé, gorille 220
mòmbìtò
mákpā
antilope jaune
ndòŋgà
ŋgìlɛ̀
tous les gorilles, pas seulement le gorille solitaire
ndzɛ̀mbɛ̄
mā
tous les serpents, daman, varan, antilope noire 221 , antilope rouge avec des tâches blanches
jàndzī
ŋgúà
daman, gorille, nandinie, silure

Les Baka ont clairement spécifié que les interdits alimentaires des Fang étaient différents malgré la correspondance clanique établie. Ainsi, les Ekuambe mangent de la civette interdites aux Fang esabok, les Likemba consomment du singe au nez blanc interdit aux Essissong, les Yandzi apprécient l’antilope noire, le sitatunga et l’antilope naine, toutes trois interdites aux jeunes essambone. Seuls les interdits alimentaires liés aux différents gorilles des clans ndonga et ngilè sont identiques aux Esangui, ce qui n’est pas surprenant puisque les significations de ces clans correspondent et renvoient directement aux gorilles.

Joiris précise en note de bas de page de sa thèse (1998 : 301) que les clans mis en correspondance n’ont pas les mêmes interdits alimentaires. Ces remarques ne font que renforcer l’idée selon laquelle les correspondances claniques et anthroponymiques baka/fang ont été mises en place sur la base d’entente cordiale entre les différentes parties en présence, c’est-à-dire en fonction d’affinités spécifiques entre les individus. Malgré certains liens historiques établis (cf. Joiris, ibid : 314), ce sont clairement des liens d’amitié qui existent entre ces deux populations. Il s’agit donc de correspondances claniques et anthroponymiques fictives au sens où l’entend Ghasarian (1996 : 16), les Baka se présentant sous ces appellations « fang » en présence d’étrangers (i.e. toute personne non Baka) où la domination de l’ethnie fang est réelle et la langue fang utilisée de fait222. Comme il est possible de parler de diglossie dans ce type de contextes particuliers (pour plus de détails, cf. partie pratiques linguistiques), il est pertinent de parler de diclanie et de dianthroponymie.

Au vu des fiches généalogiques (cf. annexe 6.2.4), la transmission clanique semble unilinéaire, c’est-à-dire qu’« un seul des deux sexes transmet la descendance » (Godelier, 2004 : 102), en l’occurrence la lignée paternelle. Toutefois, le clan de la mère s’avère également important quant à la considération des personnes issues de ces lignées. En outre, les enfants des frères de leur mère sont considérés comme des frères et sœurs ou, de manière plus prégnante comme leurs enfants dans la mesure où Ego (masculin) peut récupérer en néposat la femme de son oncle utérin. Il sera alors responsable des enfants au même titre que les siens. Cette notion de responsabilité, que j’ai déjà soulignée par ailleurs, est essentielle dans des communautés restreintes évoluant dans un environnement où la coopération est de mise pour la survie du groupe. Nous verrons dans la partie suivante qu’en termes d’alliance, les restrictions concernent, en principe, autant la filiation utérine qu’agnatique. Néanmoins, la considération des clans matrilinéaires ne remonte pas au-delà de la génération des grands-parents d’Ego, soit G-2. En effet, à partir de G-3 et au-delà pour les générations ascendantes, seul le clan patrilinéaire est pris en compte. C’est pourquoi la communauté baka, qui offre des indices de matrilinéarité (cf. supra au sujet des champs lexicaux), fonctionne actuellement comme une société patrilinéaire.

Notes
217.

De nos jours, certains Esilo ne mangent pas non plus de chimpanzé.

218.

Ngolum (f.59), le père de Ine, peut manger du pangolin. Son statut n’a pas été explicité, néanmoins il fait partie des plus anciens et il a conduit la cérémonie de fin de deuil du père de Sumba.

220.

L’une des Anciennes de Bitouga, Ayina (femme de Mona), peut consommer du gorille.

221.

Certaines femmes peuvent la manger.

222.

Les propos de Joiris (ibid : 300) viennent renforcer l’idée que les correspondances sont fictives dans la mesure où il existe une règle d’exogamie clanique qui tend globalement à être respectée, or les enfants fang et baka des clans correspondants ont la possibilité de s’unir.