Mariage mixte ou hypergamie

Les différentes enquêtes anthropologiques effectuées montrent que les mariages interethniques (i.e. mixtes) étaient rares, et ceci pour diverses raisons. Les chasseurs-cueilleurs n’étaient pas quotidiennement en contact avec les Bilo ; leur mode de vie était très divergent. De plus, ayant affaire à des communautés patrilocales, la femme bilo désireuse d’épouser un chasseur-cueilleur devait suivre son mari en forêt. Encore de nos jours, malgré l’installation de type sédentaire au sein de villages fixes, très peu de cas semblables ne s’observent (la localité n’étant pas l’unique argument de cette réticence, la perte de filiation fang et, de fait, du prestige social lié à cette appartenance joue un rôle primordial dans le choix du conjoint). Par contre, il est possible de trouver quelques cas de mariages mixtes où un homme bilo231 épouse une femme chasseur-cueilleur, cette dernière allant habiter en ville ou au village dans la demeure du mari. Mais le mépris généralement affiché des Bilo envers les chasseurs-cueilleurs ne pouvait, et ne peut toujours pas, constituer un système matrimonial mixte égalitaire comme cela existe pour d’autres ethnies. Il s’agit surtout d’hypergamie telle que l’entend Rivière (1999 : 59) où « la préférence matrimoniale [est] accordée par une femme à un conjoint de statut et de condition économique supérieurs ». Comme cela a déjà été évoqué à plusieurs reprises (cf. notamment chapitre 2), les Fang jouissent d’un statut social largement supérieur à celui des Baka, victimes quotidiennement de discrimination.

Cette idée d’inégalité est renforcée par les enquêtes menées auprès de femmes baka mariées à des Fang de la région de Minvoul sur leurs pratiques linguistiques. En outre, environ la moitié d’entre elles ont interdiction de parler baka à leurs enfants, et l’autre moitié ne voit pas du tout l’intérêt de leur parler cette langue. Ces enfants n’ont, dans ce cas précis, aucun anthroponyme baka mais seulement un anthroponyme fang et chrétien. Ces enfants sont des locuteurs perdus pour la langue baka, et même s’ils comprennent les conversations courantes et peuvent s’exprimer en baka (la mère continue à avoir des contacts avec sa communauté d’origine et les enfants suivent régulièrement leur mère), ils ne le font pas car ils marquent ainsi leur appartenance à la lignée supérieure des Fang. Aussi, il est hors de question, pour les enfants issus d’un tel mariage, d’envisager une union avec un ou une Baka (les jeunes hommes sont d’ailleurs plus virulents que les jeunes femmes à ce propos)232.

Comment une alliance mixte peut-elle être conclue ? Quel est l’intérêt d’un Fang à prendre épouse chez les Baka ?

Comme évoqué précédemment, un homme désirant épouser une femme se doit de rassembler une dot, en guise de compensation de la force de production perdue dans la famille de la mariée (échange indirect). Or, il s’avère que la dot chez les Fang est la plus élevée des ethnies du Gabon d’après Mayer (cf. supra). Il explique cela par le fait que les Fang sont patrilinéaires, c'est-à-dire que les enfants appartiennent à la lignée du père, et pratiquent la patrilocalité, la femme partant vivre dans la communauté de son mari. Ainsi, les parents de la jeune fille perdent doublement les forces de production. Aussi est-il très difficile pour un jeune homme de rassembler une telle dot ; s’il est désireux de se marier rapidement, il va se « rabattre » en quelque sorte sur une épouse baka pour laquelle la dot est généralement dix fois moins conséquente que chez les Fang. L’homme fang y trouve son compte, mais également la femme baka qui accèdera à un statut social dit « supérieur ». Cela est d’autant plus vrai pour ses enfants (pour plus de détails, se référer à Paulin 2008).

Les mariages interethniques sont de plus en plus nombreux et se réalisent de plus en plus tôt. Ainsi, selon la coutume du mariage enfantin233, une fillette baka de 3 ou 4 ans pourra être emmenée dans la famille de son futur époux afin d’y être éduquée selon les valeurs de sa belle-famille. Cette pratique notamment présente chez les Fang du Gabon234 commence à apparaître chez les Baka lors de mariages mixtes. L’enfant est ainsi sortie très tôt non seulement de son environnement linguistique mais également des diverses pratiques de sa communauté (cf. partie 3.3).

Néanmoins, quelques rares cas d’hypogamie235 ont été répertoriés malgré tous les désagréments sociaux que cela peut engendrer pour la femme fang et ses enfants ; les descendants seront de statut inférieur à leur propre mère (l’exemple d’Amina, qui est traité en détail dans la partie concernant les pratiques linguistiques, illustre ce type de mariage).

Comme mentionné précédemment, les enfants issus de mariages mixtes sont considérés selon le régime de l’ethnie (patri- ou matri-linéaire). Dans les cas considérés, les sociétés sont patrilinéaires donc les enfants appartiennent, en principe, à l’ethnie du père si celui-ci a doté l’épouse. Toutefois, l’enfant, se considère lui-même comme appartenant aux deux ethnies. Et, il est fréquent que les Baka comptabilisent ces enfants dans leur propre appartenance ethnique alors que le père est Fang. Ils seront positionnés au sein de la communauté baka en fonction du clan de leur mère, au même titre que les sociétés matrilinéaires. Ces enfants mixtes bénéficient en quelque sorte d’une double appartenance clanique (et ethnique), qu’ils peuvent revendiquer en fonction des divers types de situation dans lesquels ils se trouvent. Le concept de diclanie prend tout son sens ici.

La dérive du système de dot amène de nouveaux phénomènes dont sont victimes les CC dont, entre autres, le mariage « homosexuel » au Gabon. Une femme fang dote une Baka pour l’asservir à toutes les tâches ménagères considérées comme ingrates, la jeune fille pourra également être « livrée » au mari afin de fournir des enfants à la femme fang qui a doté. Cette pratique est culturellement dramatique pour les CC mais certains « pères » se trouvent aveuglés par l’appât du gain. L’exemple de Wayé (fiche puck ??) témoigne de celle nouvelle pratique.

Un autre phénomène favorisant les mariages mixtes est la dotation d’une jeune Baka pour l’asservir aux tâches ménagères et éventuellement à la procréation insuffisante de la première épouse bilo ; les femmes CC ayant la réputation d’être très fécondes (cf. partie 3.2.2.1 où la fertilité est généralement supérieure 80%).

Notes
231.

Il s’agit généralement de Fang mais il existe de rares cas de Bakeukeu (aussi nommés Kaka, A90 dans la classification de Guthrie).

232.

Les faits peuvent s’avérer très différents des déclarations lorsque le jeune se retrouve face à la problématique financière de la dot.

233.

Raymond Mayer, communication personnelle, Lyon, Laboratoire DDL, mai 2005.

234.

Ibid.

235.

Contrairement à l’hypergamie, il s’agit ici d’une alliance avec un membre de statut social inférieur (pour plus de détails, cf. Rivière, 1999 : 59).