Avant toute chose, il s’avère nécessaire de définir ce que l’on entend par polygamie. Du point de vue anthropologique, la polygamie comprend la polygynie – un homme peut avoir plusieurs épouses – et la polyandrie – une femme peut avoir plusieurs époux. Or, au Gabon le terme de polygamie est communément utilisé en lieu et place de celui de polygynie, le contenu sémantique du second concept étant totalement reporté sur le premier. La polyandrie étant, en effet, totalement exclue de la polygamie tant au niveau sémantique que pragmatique ; aucune femme gabonaise ne peut prétendre avoir plusieurs époux, seul le divorce238 peut lui permettre de contracter une nouvelle alliance.
La polygynie, pratique véhiculée par les Bantu, a gagné du terrain chez les Baka, où elle est de plus en plus fréquente. Or, les Baka sont traditionnellement monogames d’après les témoignages récoltés dans la région de Minvoul et les paroles des anciens présentées dans le film de Agland « Baka, le Peuple de la Forêt » sur les Baka du Cameroun. Il semble que ce trait culturel soit partagé par d’autres communautés de chasseurs-cueilleurs. Les propos de Turnbull239, précisant que le fait d’avoir trois femmes est l’acte le moins traditionnel, viennent corroborer cette idée.
Néanmoins, ce phénomène existe. C’est pourquoi il m’a clairement été spécifié que le père de Mosolobo (f.500 et f.501, cf. annexe 6.2.4.8) n’a eu qu’une seule femme.
‘« Dans le monde pygmée nomade la polygamie, quoique acceptée dans son principe, restait une rare exception… il n’en est plus de même. » Althabe (1965 : 574) ’Dans le film de Lakeman Fraser (ibid) la polygynie est effectivement acceptée mais critiquée de manière virulente par les anciens. Si nous revenons aux informations fournies par la base de données Puck (cf. partie 3.2.2.1) où le nombre de conjoints par personne n’est jamais bien supérieur à un. Ce qui renseigne sur une tendance générale à la monogamie encore observable aujourd’hui.
D’autant qu’il est important de distinguer ce type de polygynie à un autre forme de polygamie que je nomme polygynie héritée par le biais du lévirat ou du néposat ; l’individu dont le conjoint est décédé a ainsi toujours sa place au sein du groupe du défunt.
‘« Sororat et lévirat sont appelés mariages secondaires puisqu’ils viennent à la suite d’un premier mariage. »’Le terme d’héritage me semble préférable, ou de succession (dans le sens d’une transmission de responsabilité), voire de « mise sous tutelle », plutôt que mariage secondaire tel que le nomment Laburthe-Tolra & Warnier (1993 : 99), dans une perspective de respect du choix d’Ego envers son conjoint comme cela est traditionnellement le cas chez les Baka.
Plusieurs exemples de lévirat sont présents dans les données et l’intérêt d’une présentation sous la forme d’une grande fiche, comme celle de Mona, est qu’elle offre une vision plus large des relations mises en place. Ainsi, Bibe (père de Mona) a pris Ndenguma sous sa responsabilité la femme de son frère Mèdou décédé. Le même phénomène se produit pour Ego lui-même, Mona, qui récupère en seconde femme Ayina au décès de son premier mari Mondika : le frère de Mona (même père). Cet exemple nous montre l’importance de la patrilinéarité où tous les enfants de Bibe seront considérés comme frères en l’absence de mère commune. De même, le fils d’Ayina (femme d’Ego), nommé Famda, est marié à Ngonavot. A la mort de celui-ci, son épouse est récupérée par Mbaka Léo, le fils de Nyumba (frère aîné d’Ayina). Ngonavot aura une fillette avec Mbaka.
Par ailleurs, certains éléments semblent être des traces de sororat. En effet, Ego peut appeler les petites sœurs de son épouse comme sa propre femme et inversement, celles-ci peuvent nommer Ego comme leur mari (cf. partie terme de parenté). Ce système d’appellation renvoie à celui employé par Ego à l’égard des femmes de ses frères, sachant qu’il peut en « hériter » en lévirat. Cela renseigne donc sur la possibilité qu’a Ego de se marier avec les sœurs cadettes de son épouse, en cas de décès de cette dernière. Il peut également, du vivant de sa femme, prendre une de ses petites sœurs en seconde épouse. Or, d’après la définition du sororat de Rivière (1995 : 61) un veuf se remarie avec une sœur cadette de son épouse décédée. Il s’agit en fait d’un « remplacement » de l’épouse manquante qui « souligne l’engagement du groupe donneur de femme envers le preneur… » (suivant Laburthe-Tolra & Warnier, 1993 : 99). C’est donc le décès de l’épouse qui amène le groupe familial de celle-ci à « fournir » une autre femme car, comme le souligne Nzamba (2009 : 93), « le décès d’une épouse ne dissout en rien le lien ». Aussi, dans le cas des Baka, le sororat paraît être une option sans pour autant être appliqué ; il n’existe aucun exemple dans les fiches généalogiques recueillies qui peut permettre de valider de manière effective cet aspect. Ces appellations « étendues » (époux-épouse) renvoient vraisemblablement plus à une considération de l’alliance créée entre deux familles, Ego et ses cadets d’une part, et l’épouse et ses cadettes d’autre part, qu’à un sororat réel et effectif.
Le divorce est un phénomène relativement récent au Gabon, et reste rare, encore de nos jours, en milieu rural ; les hommes (ou sa famille en cas de décès) se doivent de subvenir aux besoins de leur(s) épouse(s) et de leurs progénitures jusqu’à la fin de leur vie.
“His most untraditional act was to have three wives.” Turnbull (61/62 : 35).