3.2.3.2 Autres types d’alliance, liens d’affinité (alliance religieuse)

‘« La famille humaine n’existe qu’en corrélation avec la société, c’est-à-dire avec d’autres familles prêtes à admettre qu’à côté des liens naturels doivent exister d’autres liens d’alliance, appelés aussi d’affinité. »’

Ces propos de Laburthe-Tolra & Warnier (1993 : 90), sont effectivement vérifiables au sein d’une communauté mais également entre deux ethnies différentes souhaitant se rapprocher. Il est, en effet, compréhensible que deux sociétés ayant des rapports relativement fréquents mettent en place un système d’alliance, en l’occurrence économique, avec certains partenaires particuliers. En me référant aux témoignages des anciens, il s’agissait surtout d’amis, principalement Fang, avec qui les Baka commerçaient régulièrement voire parfois exclusivement. C’est ainsi que sont apparues les diverses correspondances anthroponymiques et claniques, basées donc essentiellement sur ces liens d’amitié. Il semblerait que ce soit récemment que les rapports entre les deux communautés se soient dégradés au point qu’un groupe domine l’autre (cf. chapitre 2 partie 2.1.2).

Les groupes d’âge se mettent en place naturellement en fonction bien entendu des âges approximatifs mais pas seulement. En outre, tous les enfants, à partir du moment où ils sont autonomes du point de vue du déplacement, c’est-à-dire qu’ils marchent suffisamment rapidement pour suivre le groupe, soit vers 3 ans et jusqu’à 13 ou 14 ans suivant la maturité de ceux-ci, vont avoir des activités communes où les plus âgés aideront et veilleront sur les plus jeunes : cueillette de fruits, ramassage de vers de palmier, collecte de petits animaux, jeux, etc. Néanmoins, certaines cérémonies religieuses vont permettre de « sceller » ces liens particuliers entre enfants ayant environ le même âge. Parmi ces divers rites, la circoncision est un temps fort chez les garçons240, un passage important, une condition sine qua non à l’accession au mariage. Un garçon non circoncis n’est pas véritablement considéré comme un homme, et ne peut pas, de fait, prendre épouse.

Sachant que de nombreux Baka vivent à proximité des Fang où la circoncision est également pratiquée, la conduite commune de ce rite (i.e. réunissant des enfants des deux ethnies) va permettre de mettre en place des liens de parenté fictive au sens où l’entend Ghasarian (1996 : 16), sorte de lien « inaliénable » essentiel pour la cohésion sociale intra- (entres les différents clans) et inter- ethnique.

‘« Les amis chers peuvent ainsi être rangés dans la catégorie des parents… La parenté affirmée (« fictive ») peut donc compter tout autant que la parenté biologique (« réelle »). »’

Les individus ainsi reliés peuvent compter les uns sur les autres au même titre qu’un parent (germain, père, oncle, etc.). Toutefois, les regroupements au sein d’une même communauté sont plus forts qu’entre deux ethnies différentes dans la mesure où une grande complicité s’est mise en place tout au long des activités enfantines (pratiques communes aux chasseurs-cueilleurs mais divergentes des Bilo, les dynamiques sociales sont souvent différentes et les Fang envoient généralement leurs enfants à l’école contrairement aux Baka). De plus, d’autres rituels vont venir renforcer ces alliances religieuses comme l’initiation à Edzengui (esprit de la forêt), à Kose (esprit de la chasse), etc., et vont permettre de souder socialement différents clans. Ces liens d’amitié, également possibles grâce à des affinités communes entre certains membres de la communauté, vont leur permettre de partir ensemble à la chasse et/ou de séjourner de long mois en forêt.

En fait, si nous nous plaçons dans le microcosme gabonais où la population Baka est somme toute restreinte et principalement issue de quelques familles ayant migré dans cette région au début du 20ème siècle. Il serait tautologique de dire que finalement tous ces Baka de la région de Minvoul sont parents sur une ou plusieurs générations grâce notamment à une filiation directe mais également à des mariages entre ces divers membres241. Prenons l’exemple de Bitouga, reflet, à moindre échelle, des réalités de cette région. Si l’on s’en tient à une lecture superficielle de l’organisation spatiale des clans, les deux corps de garde font office de référence de deux grands groupes établis (cf. partie 3.1). Ainsi, les initiations rituelles, comme la circoncision entre autres, vont permettre de créer une alliance fictive ou sociale (suivant les différents auteurs, respectivement Ghasarian et Rivière). Ces alliances pouvant supplanter les liens biologiques. Or, si nous examinons de plus près les liens qui unissent les membres de Bitouga, nous pouvons constater qu’ils sont tous parents à des niveaux supérieurs. Dans ce cas de figure, les rituels mis en place pour créer une alliance fictive vont réactualiser des liens biologiques ancestraux « oubliés ». Ce type d’alliance s’avère finalement très différent lorsqu’il s’agit d’« unir » deux individus issus d’une même ethnie ou deux individus d’ethnie différente, soit deux Baka ou un Baka et un Fang, dans ce cas précis. Il s’agit alors essentiellement d’une parenté sociale pour la dernière union alors que la première bénéficie également d’un lien biologique ancestral, en quelque sorte, réactualisé.

Pour les villages plus conséquents, ces liens peuvent paraître plus flous mais une étude approfondie, grâce à des outils de traitement automatique de la parenté, peut effectivement mettre en évidence ces dynamiques de migration locale liée principalement à des « regroupements familiaux ». Ce fait n’est pas nouveau, mais il mérite d’être souligné dans la mesure où il coexiste deux zones indépendantes de migration Baka au Gabon, une dans la région de Minvoul, et une autre le long du fleuve Ivindo, en amont de Makokou, comme évoqué précédemment (cf. chapitre 2 partie 2.1.1.1). Ces deux communautés n’ont, en l’état actuel, que peu ou pas de contact mais la circulation des informations (certains Baka de Minvoul ont de nos jours connaissance de cette autre communauté non loin de la leur), la mise en place de Parcs Nationaux avec quelques éco-gardes ou pisteurs chasseurs-cuilleurs se déplaçant sur ces diverses zones, le développement des voies de communication empruntées par ces ONG (routes praticables en toute saison), entre autres, peuvent amener les communautés à se rapprocher et à créer de nouvelles alliances « réelles » ou « fictives ».

Notes
240.

Entre 9 et 12 ans d’après Turnbull (1961-62 : 21). Comme les Baka se marient généralement vers 15 ou 16 ans pour les garçons, la circoncision est généralement faite avant cet âge-là, mais encore faut-il réunir suffisamment d’enfants pour que la cérémonie soit rentable (afin de partager les frais liés à la venue du Maître de cérémonie).

241.

Un flux, peu important, de nouveaux arrivants perdure, or il s’agit souvent de regroupement familial, confirmant cette idée d’une immense famille commune.