Les enquêtes anthropologiques réalisées sur plusieurs périodes, en multi-sites et auprès de différents membres d’une même famille ont permis de récolter des données très fournies. La fiche de Mesono (f.338) comptant six générations illustre parfaitement cet aspect. cf. fiche annexe 6.2.4.42). Aucune stratégie matrimoniale clanique n’a été constatée, et par ailleurs aucune stratégie de ce type n’est revendiquée par les Baka.
Il est intéressant de constater que malgré la distinction clanique présente entre les ascendants paternels d’Ego et ses ascendants maternels, les parents (au sens large du terme) des deux branches (i.e. la parentèle) sont considérés comme faisant partie d’une famille dans son entièreté. Ces conceptions offrent une vision du monde comme faisant partie d’un tout continu, où les différents éléments prennent place à l’intérieur d’un immense réseau complexe où chaque individu occupe une place particulière, entretenant des relations avec une ou plusieurs autres personnes de cet ensemble (notion de cosmogonie abordée dans le chapitre 4, cf. infra). Cette conception globalisante qui n’intègre pas de rupture rejoint la notion de fluidité exposée par Pourtier (1989, cf. partie 3.1).
Afin de mettre en évidence les spécificités baka, une démarche procédant à une brève comparaison avec le système voisin fang a été adoptée.
D’après les analyses fournies dans cette partie, l’idée qui sous-tend le lévirat est que les enfants vont appartenir à un clan à partir du moment où la dot est versée. Toutefois, comme mentionné à plusieurs reprises, la lignée maternelle ne peut être évincée (exceptée dans certains cas délicats de mariages mixtes). A contrario, même s’il est souvent connu de tous, le géniteur peut n’avoir aucun droit sur sa progéniture comme dans le cas d’un adultère ou de dot non fournie. Il en est de même pour le seul cas d’alliance entre deux femmes constaté à ce jour. Seule la femme qui dote aura l’entière autorité sur les enfants à naître de cette union ; le géniteur étant totalement mis à l’écart mais également la génitrice baka (conséquence fâcheuse pour la pérennisation de son ethnie).
La question de la matrilinéarité en mutation vers une patrilinéarité de la société baka ne peut être tranchée de manière catégorique même si un certain nombre d’indices sont présents :
Qu’en est-il des transformations ?
Cette tendance patrilinéaire est-elle inhérente à la société baka ou est-elle induite par les contacts quasi-permanents avec la communauté fang voisine ?
Certaines conséquences répertoriées au niveau des pratiques matrimoniales émanent clairement de ces contacts mais sont également imputables à la sédentarisation. Il y a d’abord les mariages enfantins (précoces), coutume bien ancrée chez les Fang mais inconnue des Baka. S’ajoute à cela, une autre pratique totalement inconnue chez ces derniers jusqu’alors : il s’agit de la « vente » d’une jeune enfant baka (d’une dizaine d’années, généralement) à une femme fang mariée pour lui servir de « bonne-à-tout-faire » et/ou de génitrice. Puis, les mariages entre membres de même clan, pratique jugée scandaleuse, mais émergente à Mféfélam où le nombre d’habitants s’avère finalement beaucoup trop important pour une gestion sociétale séculaire de type acéphale.
Aucun indice, chez Bahuchet (1989), ne laisse supposer une société *baakaa matrilinéaire. Il s’agit donc plutôt de « filiation complémentaire » au sens où l’entendent Laburthe-Tolra & Warnier (1993 : 63), idée qui renvoie aux propos de Vansina (1985 : 1323) selon lequel ces sociétés n’étaient pas patrilinéaires mais bilatérales et patrifiliales.
Par ailleurs, si l’on se penche effectivement sur la manière dont les Baka déclinent leur identité, il est évident que certaines caractéristiques culturelles fang s’immiscent à cet endroit quant il s’agit d’aborder la question des correspondances claniques et anthroponymiques. Pour autant, les Baka ne se déclarent pas Fang, et les correspondances restent encore de nos jours à un niveau superficiel, les différences répertoriées sur le plan des interdits alimentaires sont là pour en témoigner.
Comme les Punu au Gabon par exemple, pour plus de détails, cf. Mayer (2002) et Nzamba (2009).