Qu’en est-il des locuteurs passifs ?

Il s’agit essentiellement des enfants issus de mariages mixtes. Comme déjà indiqué dans la partie précédente, sur le plan linguistique, les mariages interethniques, alliant une femme baka et un homme fang, posent de sérieux problèmes.

Les plus conséquents sont ceux liés à l’interdiction imposée par l’époux à sa femme de parler baka à leurs enfants. Il est rappelé que ces enfants ne reçoivent aucun anthroponyme baka. La mère parle essentiellement fang au sein du foyer, même lorsque son mari est absent. En fait, étant donné le prestige dont jouit le fang, la mère ne voit aucun intérêt à parler sa langue à ses enfants. Elle a d’ailleurs souvent accepté de se marier avec un homme plus âgé afin d’accéder à un statut social supérieur. La langue et les pratiques culturelles fang font partie de cette accession sociale. Son attitude est de fait négative vis-à-vis de ses référents culturels d’origine. Pour autant, cette femme ne nie pas être Baka et retourne volontiers auprès de sa famille, les dimanches ou lors de vacances scolaires afin que ses enfants ne manquent pas leur scolarité. Dans ce contexte, elle parle baka avec les membres de la communauté mais s’adresse uniquement en fang à ses enfants ; ces derniers étant fiers d’afficher qu’ils sont fang. Aucun des enfants ne parle baka avec ses compagnons de jeux, le fang est, de fait, la langue de communication. Toutefois, ces immersions linguistiques régulières permettent à l’enfant d’acquérir une connaissance passive limitée de sa langue. Ils arrivent à comprendre aisément une conversation courante mais n’acquièrent aucune technique spécifique baka (collecte de miel, grande chasse, etc.). Si ces enfants réussissent à contracter une alliance avec un(e) Fang, comme ils le souhaitent tous (les garçons étant d’ailleurs beaucoup plus virulents que les filles à ce sujet), ce sont des locuteurs perdus pour le baka.

Lorsque l’épouse a la possibilité de parler sa langue à ses enfants, la transmission linguistique et culturelle va dépendre entièrement de l’attitude de cette mère. Soit, comme dans le cas que nous venons de voir, la femme ne perçoit pas les enjeux culturels d’une telle transmission et ses enfants auront également une petite connaissance passive de la langue. Ils ne s’expriment jamais en baka et ont également un point de vue très tranché sur la question des alliances comme dans le cas précédent. Soit la mère a une attitude positive vis-à-vis de sa langue et de ses pratiques culturelles et les transmet naturellement. Les enfants seront alors envoyés systématiquement au sein de la communauté baka pendant toutes les vacances scolaires afin qu’ils puissent acquérir un maximum de pratiques culturelles spécifiques. Néanmoins, ces périodes ne sont en aucun cas suffisantes pour prétendre devenir un bon chasseur, notamment, et avoir la possibilité en tant qu’adulte de subvenir aux besoins du foyer. Il serait nécessaire pour ce faire que l’enfant passe quelques années auprès d’un parent baka afin que ce dernier l’initie (dans tous les sens du terme). Or, cette possibilité n’est pas envisageable du point de vue scolaire, alors si l’enfant veut réellement parfaire ses connaissances techniques et culturelles baka, il devra faire un choix.

Ces enfants ont une connaissance passive développée de la langue et peuvent s’avérer actifs dans des situations d’isolement. Il se trouve qu’ils préfèrent s’exprimer en fang et lorsqu’ils sont plusieurs, ce sont les enfants baka qui changent de langue au profit du fang. Ces enfants, contrairement aux autres enfants « mixtes », grâce à leurs acquis linguistiques et culturels pourront par la suite devenir aisément productifs linguistiquement.