Les emprunts

Je n’aborderai pas ici la question des emprunts facilement repérables par les locuteurs eux-mêmes, c'est-à-dire des mots identiques ou quasi identiques à ceux trouvés en fang257, mais celle des emprunts anciens au fang qui ont été bien intégrés (i.e. phonologisés) en baka. Les locuteurs ont alors plus de mal à repérer les indices de l’emprunt, ils sont persuadés qu’il ne s’agit pas d’un emprunt à la langue voisine et ont de fait des difficultés à fournir le terme dans leur langue propre. Des instances de ce cas de figure sont présentes dans le lexique de base où il n’y a pas eu de néologismes internes mais des néologismes externes, c’est-à-dire des emprunts avec appropriation. La situation s’avère préoccupante lorsqu’il s’agit des lexiques spécialisés258 comme ceux de la faune ou de la flore en rapport étroit avec l’environnement proche et quotidien des Baka. Certains termes ont été empruntés au fang alors qu’il existait un mot en baka ‑ comme par exemple mvaa-na-buba « Bdeogale nigripes » qui est en fait une composition du terme fang mvaa dénotant l’animal et d’une extension qualificative baka na-buba (litt. conn.-blanc) signifiant « de couleur blanche ». Les anciens, quant à eux, ont fourni [būsɛ̄], terme baka oublié par la jeune génération. Il est très étonnant dans ce cas d’avoir des emprunts fang alors que les Baka sont beaucoup plus souvent en contact avec ces espèces. Or, comme cela a déjà été indiqué à plusieurs reprises, lorsque les séjours en forêt incluent ne serait-ce qu’un membre de la communauté fang, les activités de cueillette voire de chasse se déroulent généralement en fang au détriment du baka. Toutefois, il paraît difficile que des termes liés à des pratiques spécifiques baka, n’ayant aucun équivalent en fang, disparaissent, comme par exemple les différents termes dénotant le miel. Huit termes correspondant à huit variétés différentes de miel ont été collectés. Or, il semblerait que les Fang n’en dénomment que quatre, même si, par ailleurs, ils peuvent connaître plus de quatre variétés259. En revanche, il est possible d’envisager que les Baka empruntent la langue du voisin, c'est-à-dire qu’ils ne parlent finalement plus que le fang et que les termes spécifiques baka se maintiennent dans le lexique. Il se peut également que l'on ait affaire à une série d'hypéronymes, c'est-à-dire qu’un terme baka se généralise et désigne l’ensemble des éléments d’une catégorie, comme par exemple ija le terme générique pour « éléphant » serait utilisé pour tous les éléphants quelque soit leur taille, leur âge ou leur sexe, alors qu’il existe six termes pour les éléphants mâles de taille différente, un terme pour l’éléphante et un terme pour l’éléphanteau260.

Mais il ne faut pas non plus se leurrer car, si leur mode de vie change, leurs pratiques spécifiques tendront à s’estomper, voire à disparaître totalement. Il s’avère donc pertinent de se demander si la langue baka va réussir à résister à toutes ces pressions et si elle est réellement en danger. Ce qui nous amène au point suivant, qui concerne les critères que l’unesco prône pour l'évaluation de la vitalité des langues.

Notes
257.

Il s'agit d'emprunts récents.

258.

Pour une discussion plus approfondie sur la résistance à l’emprunt des différents types de lexiques, voir Hock & Joseph (1996), pp. 274-275.

259.

Travail en cours, Medjo Mvé Pither, communication personnelle, Lyon, DDL, déc. 2006.

260.

D’autant que si l’on compare ces termes à ceux présentés par Brisson (1984: 160), certaines pertes lexicales ont déjà été répertoriées ; en effet, les Baka de Minvoul ne font plus de distinction sexuelle pour les éléphanteaux. Les jeunes d’une trentaine d’années ne reconnaissent pas ces termes, ils ne font pas partie de leur patrimoine commun.