Les catégories conceptuelles ne sont effectivement pas arbitraires et renvoient en partie à des propriétés biologiques intrinsèques. C’est pourquoi les différents oiseaux seront classés ensembles. Cependant, il ne faut pas négliger d’autres éléments extérieurs qui vont jouer un rôle déterminant dans l’élaboration d’une catégorie, comme le comportement localement perçu des animaux, qui vont amener les Baka à considérer les [kémà]282, singes à queue, et [mbɛ̀dì], l’oiseau des singes comme appartenant au même ensemble. L’environnement joue donc un rôle déterminant dans l’élaboration des catégories, tout comme leur organisation sociale. Ainsi les sociétés vont-elles mettre de l’ordre dans ce qu’elles perçoivent du monde en suivant leur propre conception de ce monde qui, de fait, n’implique pas de système hiérarchisé monofactoriel (unidimensionnel), fondé sur un critère unique, comme le propose le modèle en arbre. En effet, il n’y a aucune raison objective de privilégier les critères biologiques par rapport aux critères culturellement déterminés. Suivant les circonstances et les différentes situations dans lesquelles l’individu se trouve, celui-ci associera différemment en fonction de tel ou tel critère. Ainsi, la présentation des ensembles sous forme de « patates » (ellipses partiellement superposées, cf. partie 4.2.2) a l’avantage de pouvoir intégrer la conception hiérarchisée de Berlin au sein d’un système plurifactoriels (multidimensionnel) plus large qui n’implique pas de hiérarchie entre les différents critères (dimensions) en présence.
Comme évoqué précédemment, la présentation hiérarchique que propose Berlin à partir des données qu’il a récoltées (im)pose une vision monodimensionnelle des regroupements possibles. Mettre de l’ordre dans les données n’implique pas une éviction des divers critères au profit d’un seul, mais, de mon point de vue, ce qui s’avère essentiel dans son travail, c’est la mise en évidence de la notion d’inclusion. C’est cette notion d’inclusion qui va effectivement amener une hiérarchie d’autant plus prononcée qu’elle est présentée sous une forme arborescente.
D’après la définition du Petit Robert 1 (1991 : 979), « inclusion » venant du latin inclusio se définit comme suit : « 1° Log., math. Relation entre deux classes, entre deux ensembles, dont l’un est inclus dans l’autre. » Et dans la notion d’« inclusion », nous retrouvons l’idée d’ensemble avec tous les éléments qui appartiennent à cet ensemble. Il existe donc un ensemble plus large qui englobera un ou plusieurs autres ensembles et ainsi de suite. Pour autant, il ne faut pas exclure l’existence d’autres systèmes de regroupements, d’ensembles pouvant recouper le premier. La présentation hiérarchique, sous forme d’arbre, telle que la propose Berlin, évince, de fait, toute catégorie « croisée ». J’entends par « catégorie croisée », un regroupement qui prendrait en compte différents éléments appartenant par ailleurs à d’autres ensembles. En effet, comme nous le verrons dans la partie , le buffle, les singes à queue, le potamochère ou encore le mandrill qui, par ailleurs, appartiennent à des groupes différents, sont pourtant tous des « proies de la panthère ». De même, d’autres dichotomies comme diurne vs nocturne, ou encore aquatique vs terrestre fondent des catégories croisées essentielles pour les Baka qui doivent, de fait, être intégrées à la présentation des données.
Il n’est pas question ici de nier la hiérarchie qu’implique la notion d’inclusion, comme le fait Hallpike (cité par Berlin : 1992 : 136) car les données peuvent effectivement être présentées de la sorte, mais il est primordial de garder à l’esprit que cette présentation arborescente est beaucoup trop rigide et restrictive pour englober l’ensemble des données récoltées. Certaines critiques adressées au modèle de Berlin, comme entre autres celles d’Ellen (1986 : 89) cité par Berlin (ibid : 137), se justifient face à une représentation qui va privilégier un critère plutôt qu’un autre.
‘“The restricted check-list approach exemplified by the work of Berlin and his associates cannot, then, cope with the wider dimensions of variation between systems.”’Il me semble beaucoup plus judicieux de prendre en considération toutes les dimensions mises en évidence dans les données recueillies. Rien, en effet, ne peut justifier la suprématie du critère biologique sur le critère culturellement déterminé. Il existe autant de vision du monde que de critères de regroupement différents choisis en relation avec la pertinence situationnelle (environnementale). Il existe plusieurs types de conceptualisation où aucun ne prime sur l’autre, il n’est pas ici question de hiérarchisation des critères mais de visions du monde différentes en fonction des ces différents critères283.
Si les différents critères sont intégrés à la présentation, ils permettront ainsi de poser des catégories croisées prenant en compte les diverses visions du monde des populations étudiées. Il semble, en effet, que les critères liés aux différences comportementales des animaux entre les différents groupes (nocturne vs diurne) ou au sein d’un même groupe (le comportement d’un éléphant mâle solitaire sera totalement différent de celui d’un éléphanteau) soient privilégiés, caressentiels, chez les Baka, population de chasseurs-cueilleurs dont la subsistance tient en grande partie à ses grandes capacités de prise de gibier. Pour autant, cela ne veut pas dire que les Baka ne font pas appel à cette « classification universelle », telle que l’entend Conklin284, lors de la chasse puisqu’ils distinguent rapidement les singes à queue (dans les arbres) des mandrills ou gorilles (au sol) par exemple. Prenant en considération toutes les données fournies par les membres de la communauté étudiée, force est de constater que, non seulement, elles font partie d’un tout – une vision du monde global, un système en réseau où chaque élément a sa place –, mais surtout qu’elles offrent divers classements en fonction des différents critères énoncés (dénommés ou non) et des contextes situationnels.
Variante libre [kɛ́mà].
La seule hiérarchie existante tient essentiellement dans la notion d’inclusion.
« The presence of hierarchically arranged (…) folk taxonomies is probably universal » (Conklin (1962 : 128) cité par Berlin, 1992 : 13).