Après avoir listé une grande partie du vocabulaire des animaux, il est intéressant de voir les différents regroupements qu’ont pu proposer les Baka de ceux-ci ; tout en gardant à l’esprit que d’autres associations sortant du cadre circonscrit de la faune ont été répertoriées mais ne peuvent être intégrées au schéma ci-dessous, dans un souci évident de clarté. Les divers ensembles donnent des pistes sur la manière dont les Baka appréhendent le monde animal, et plus largement le monde qui les entoure. Tous les éléments prennent place au sein d’un réseau de relations formant un tout globalisant équilibré (en équilibre).
Par ailleurs, il a été observé un langage voilé, secret, faisant intervenir autant la gestuelle (signes précis de la main par exemple) que des termes secrets (i.e. inconnus par les populations voisines). En effet, les Baka ne souhaitent pas toujours que les Fang soient au courant du type de gibier abattu331. Aussi mettent-ils en place certaines stratégies de camouflage car certains termes comme kema, ɸ amɛ ou keleba sont trop connus. Ce dernier, à titre d’exemple, le pangolin géant, est alors désigné par kandzɔnɔ le pangolin à longue queue dont la signification demeure opaque pour bon nombre de Bilo. Pour l’occasion, le manis gigantea est donc rebaptisé kandzɔnɔ na gbɛŋgbɛ (litt. manis tetradactyla conn. grand) « le grand pangolin » ; la majorité des Fang ne comprenant pas alors de quoi il est question.
Dans la mesure du possible, les explications des divers regroupements des éléments ont été récoltées. Ainsi, nous pouvons lire par exemple « ceux qui mangent dans les arbres », « ceux qui marchent la nuit » ou « les proies de la panthère ».
Comme annoncé dans l’introduction de cette partie, toutes les distinctions proposées par les Baka n’ont pas été suivies fidèlement lorsque cela aurait amené à présenter une multitude de petits groupes. Ainsi, suivant les données de Roulon-Doko (1998 : 80) sur les Bodoe, qui donne un terme [nɔ́ɛ́] correspondant à [nú] « oiseau », la catégorie des aériens a été présentée. Or, il apparaît clairement sur le schéma que ce concept ne fait aucunement partie des considérations des Baka. En effet, le terme [nú] ne renvoie qu’aux oiseaux, les volailles n’y sont pas intégrées mais constituent un groupe séparé. Les poules et les canards, comme le rat de gambie d’ailleurs, mangent des aliments se trouvant sur le sol. Ce qui n’est bien entendu pas la caractéristique principale des oiseaux. De plus, il est clair que la volaille n’a pas les mêmes capacités de vol que les oiseaux. Cette notion pourrait être traduite en français par « voleter », c’est-à-dire s’élever suffisamment pour accéder aux toits des maisons mais insuffisamment pour voler vers d’autres cieux.
Par ailleurs, le rat de gambie, présenté avec ses congénères « ratus », est également associé sur le schéma aux pangolins. Cela est lié au fait qu’il dort dans un terrier comme ces derniers, contrairement à ses congénères. De même, d’une manière beaucoup plus flagrante, le mandrill et « les singes à queue » ont été placés sous la catégorie « singes » alors qu’ils sont répertoriés en tant que « proies de la panthère » (excepté le gorille et le talapoin). Cela prouve que les préoccupations des Baka sont très différentes des critères de classifications scientifiques occidentales, ils privilégient le comportement des animaux. Pour autant, cela ne signifie pas qu’ils ne connaissent pas les critères de regroupement biologique. En effet, au sein de la catégorie « singes » deux sous-ensembles sont distingués (« ceux à queue » ké ma ̀, et l’autre « sans queue » non dénommé) où tous les singes sont inclus, les uns étant les « cousins »332 des autres. En fait, les Baka associent plus qu’ils ne classifient, dans le sens où l’entend Jacques Dournes cité par Roulon-Doko (1998 : 32).
‘« Il leur va mieux d’associer, et de différentes manières, ce qui est une façon d’établir un continu, le réseau étant plus dans leurs habitudes mentales que la taxonomie ou l’arbre… »’Ainsi, est-il possible de prétendre qu’il existe autant d’associations possibles qu’il y a de situations différentes. C’est notamment pour cela que les méthodes expérimentales réalisées hors contexte ne sont absolument pas appropriées à des sociétés comme les Baka, qui de surcroît ne sont pas scolarisés. Cette décontextualisation fausse complètement les résultats. De plus, il s’est avéré très difficile de travailler à partir de dessins ou de photographies : les Baka n’étant pas du tout habitués à la lecture d’images, la majorité d’entre eux tournait les images dans tous les sens et avait du mal à reconnaître l’animal en question (rien que la proportion des tailles n’est pas respectée). L’idéal serait bien entendu de travailler sur des animaux réels, mais à moins de passer toute une vie en leur compagnie, et encore il n’est pas sûr que toutes les espèces soient vues et repérées, cette tâche semble insoluble. Ainsi, les théories sont intéressantes en ce qu’elles permettent d’organiser diverses pensées mais elles ne sont pas toujours adaptées à des situations de terrain, et sont trop souvent centrées sur des modes de pensée occidentale (issus de sociétés industrialisées).
Ce phénomène est lié principalement aux différents pressions dont sont victimes les Baka quant au nombre de gibier ramené en fonction du nombre de cartouches confiées par les Fang (avec le prêt du fusil), au type de gibier abattu aux regards non seulement des quotas mais également des espèces protégées par le gouvernement (et/ou ONG).
C’est précisément ce terme cousin (en français) qui a été utilisé.