4.2.3 Classification de la flore

Le vocabulaire de la flore a été collecté in situ avec l’aide d’Augustin Mougandzi, ethnobotaniste gabonais. Plusieurs informateurs étaient présents afin de valider les termes collectés, jeunes et anciens, ces derniers se souvenaient plus facilement des termes baka en concurrence du fang. (cf. photo 10, annexe DVD). Un jeune homme issu d’un mariage mixte baka-fang a servi d’interprète lors de cette collecte car il s’agissait souvent de donner des précisions afin de distinguer deux espèces proches. La reconnaissance globale se faisait grâce à l’allure générale comme la forme, la taille, les racines qui donnent des indices rapides d’une première identification. En outre, s’il s’agissait de distinguer deux espèces très proches, une inspection minutieuse s’avérait nécessaire en prenant en compte différents critères comme la couleur et l’odeur du bois – l’écorce était alors prélevée et humée – puis les feuilles étaient scrutées avec précision – dans certains cas par exemple, la disposition des nervures du dessous peut à elle seule faire la différence.

Les espèces ont donc été identifiées sur place, en forêt, [bēlē], et les données ont ensuite été confrontées à celles présentes dans Letouzey (1976), Raponda-Walker et Sillans (1995), Saint Aubin (1963) et Brisson (1988).

La majeure partie des plantes recueillies est utilisée à des fins thérapeutiques (les diverses utilisations révélées sont présentées dans la partie suivante concernant la maladie), pour construire des huttes ou réaliser des parures rituelles par exemple, ou pour être consommée. D’après van der Veen (à paraître)

‘« Certaines plantes ont une valeur clairement symbolique et sont utilisées au cours de rituels sociaux et religieux dont nous ignorons souvent le détail. Sans ce contexte, elles perdraient leur efficacité. ».’

Tout arbre ou plante a ou avait une utilité au sein de la communauté, de sorte que les dénominations perduraient au fil des générations. En fonction des changements culturels plus ou moins importants, du mode de vie en plein mutation, les utilisations peuvent changer voire se perdre totalement : les dénominations ne sont donc plus transmises aux générations suivantes et s’effacent également peu à peu des mémoires des anciens.

Avant de parler des diverses espèces d’arbre qui ont été, ou non, identifiées, il me paraît opportun de spécifier le terme générique pour arbre et différents termes en relation avec celui-ci, comme les parties de l’arbre, entre autres. Ainsi, l’arbre générique est dénommé [lō]. Ce terme est également utilisé pour le bois, ou le tronc comme nous le verrons dans le paragraphe suivant. Lorsque l’arbre est mort il est appelé [kòwà]. D’autres dénominations existent pour : les copeaux de bois [bàŋgō], le bâton [ndūkūlō] (litt. morceau-arbre), le paquet de bois flambant [jàndzī]. Le bois peut également être utilisé à d’autres fins que se chauffer ou faire cuire quelque chose, ainsi le terme pour « la chicotte » servant à frapper les enfants est [ŋgílā].

Les différentes parties des arbres ont également été collectées, toutes ces formes se préfixent au terme de l’arbre, le tronc [lō], la racine [sē] ou si elle ne se préfixe pas la forme est redupliquée en [sèsē]333, la branche [bɛ̄], le fruit terme générique [lékà] et il est possible de préciser le fruit de forme ronde [kòkò]334 en variation libre avec [kò-lékà] ou le fruit sous forme de noix [là] – comme la noix de l’irvingia gabonensis [là-ɸēkè] « l’odika » également appelée « cacao indigène » et le fruit de cet arbre [lékà-ɸēkè] constitué d’une enveloppe charnue dont la chair jaune orangée, légèrement sucrée, est consommée mûre, l’écorce ou la peau des fruits [gbīkpē]335, la feuille [kpā], la fleur [nɛ́nɛ̀]336, l’épine [tì], le régime de fruits [ndzò]. Le terme [sɔ́kā] est également utilisé pour « la noix » (« de palme » par défaut), ainsi le type de noix se trouvant proche du fleuve Ntem se nomme [sòkā-nà-ŋgō] (litt. noix-conn.-eau)337.

A titre d’exemple, la racine du Musanga cecropioides se nomme [sē-kòmbò], le régime de bananes plantains (du Musa paradisiaca) [ndzò-ndɔ́] ou encore le régime de fruits du palmier à huile, de l’Elaeis guineensis, [ndzò-mbílà].

Par ailleurs, il est intéressant de noter l’étendue du champ sémantique de certains termes précédemment cités comme « la feuille » [kpā] qui signifie également « la main », « la branche » [bɛ̄] pour « le bras », ou encore le terme « tronc » [lō] utilisé pour signifier « se tenir debout » [wò-sō-lō] (litt. PP3P- milieu?- tronc). Hormis le fait que ces notions doivent être considérées d’une manière plus globale – où le sens plus général pour [bɛ̄], par exemple, serait « membre supérieur plus ou moins long » – ces notions reflètent en partie la vision cosmogonique baka. En effet, cette extension sémantique métaphorique renvoie à une considération des arbres et plus globalement de la forêt comme « parents nourriciers » (cf. chapitre 3), les arbres étant des ressources alimentaires quotidiennes non négligeables. Le parallèle est d’autant plus frappant au regard du terme [là] « fruit sous forme de noix, graine de » qui signifie également « le petit de ».

Par ailleurs, d’autres termes comme « l’herbe » [wúlú] ou « la plantation » [gbíé] sont indépendants.

A ce jour, sur 281 termes collectés ayant trait à la botanique (cf. lexique général en annexe), 213 arbres ont été identifiés (listés ci-après). Ceux-ci appartiennent à une soixantaine de familles (62 exactement) dont certaines sont particulièrement bien représentées (ayant au moins 5 espèces). Il s’agit des Anacardiacées (7 espèces), des Annonacées (9 espèces), des Apocynacées (7 espèces), des Césalpiniacées (15 espèces), des Dioscoréacées (6 espèces), des Ebénacées (4 espèces), des Euphorbiacées (16 espèces), des Graminées (5 espèces), des Irvingiacées (5 espèces), des Méliacées (5 espèces), des Mimosacées (9espèces), des Moracées (7 espèces), des Olacacées (5 espèces), des Rubiacées (13 espèces), des Sapotacées (6 espèces), des Solanacées (8 espèces dont 7 de tabac) et des Sterculiacées (5 espèces).

Si l’on compare rapidement ces données avec celles présentes chez van der Veen & Bodinga-bwa-Bodinga (à paraître) concernant une population de villageois bantu, il apparaît clairement que toutes les variétés cultivées sont sous-représentées chez les Baka. Ainsi seuls quatre termes ont été recueillis pour les graminées et les palmacées contre respectivement seize et onze pour ces Bantu. De même, pour les solanacées, hormis les espèces de tabac, seul le piment apparaît dans cette famille, contre dix espèces répertoriées chez ces mêmes auteurs. D’après l’Encyclopædia Universalis (2005, France S.A.338), ces espèces sont surtout représentés en Amérique tropicale (40 à 50 genres), et font partie des plantes cultivées si l’on se réfère à leur définition ci-dessous.

‘« L'intérêt des Solanacées tient à l'importance et à la diversité des produits qu'elles fournissent (pomme de terre, tomate, tabac, piments...). Appareil végétatif. Les Solanacées sont des herbes annuelles ou vivaces, des arbustes, des lianes ou des épiphytes (Markaea). Des espèces sont épineuses ; d'autres ont un port de bruyère (Fabiana imbricata). » ’

Par ailleurs, aucun terme pour les ptéridophytes339 alors que van der Veen & Bodinga-bwa-Bodinga (ibid.) en ont inventoriés quatorze espèces (deux termes relatifs à des sortes de fougère ont néanmoins été collectés auprès des Baka, mais ils ont été placés avec les espèces non classées)340.

Notes
333.

Le même phénomène est présent chez Brisson qui donne [sīē] en forme dépendante préfixée et [sìèsīē] ou [sìsīē] en variation libre lorsque cette forme n’est pas préfixée.

334.

Chez Brisson, [kò] signifie le corps d’une chose, d’un être, forme que l’on peut trouver rédupliquée, et signifie également « grosseur de » où la réduplication n’est pas donnée ; en fait, l’auteur ne semble pas relier les deux significations.

335.

Ce terme n’est pas répertorié chez Brisson, il donne [kūkpē] pour écorce ou peau de certains fruits comme la banane, ou simplement [kpē] pour écorce.

336.

Chez Brisson, ce terme renvoie à chose de, bagatelle; le terme pour fleur est littéralement nouvelle feuille [nʤī-kpā], terme que j’ai récolté par ailleurs auprès de mes informateurs avec la variation de l’affriquée prénasalisée [ndz]. J’ai collecté, par ailleurs, une variante de fleur [kpā-kɛ̀-dzókò] qui est littéralement feuille-cette-bonne. Grâce à la formation du pluriel, j’ai pu noter que cette attestation, contrairement à l’exemple précédent de nouvelle feuille, n’est pas traitée comme une entité unique mais considère deux unités feuille-cette d’une part et bonne d’autre part.

337.

Cette noix est fréquemment nommée [bàāntɛ̀m] comme en fang.

338.

http://www.universalis.fr/encyclopedie/Q163461/SOLANACEES.htm

339.

« Le terme de Ptéridophytes évoque des plantes ayant l'aspect de Fougère (pteris, fougère) », 2005 Encyclopædia Universalis France S.A.,

site : http://www.universalis.fr/encyclopedie/P151141/ PTERIDOPHYTES.htm

340.

L’ethnobotaniste, ayant peu de connaissances dans ce domaine, a préféré se focaliser sur d’autres familles. Il serait donc intéressant dans une étude ultérieure de recueillir d’autres espèces de ptéridophytes.