4.2.4.3 Le traitement thérapeutique baka

D’une manière générale, les Baka vont chercher à se protéger de la maladie ; ils vont en quelque sorte suivre l’adage « mieux vaut prévenir que guérir ». Ils mettent en place des systèmes de protection dans un lieu précis par exemple, comme la maison, ou sur une personne en particulier, souvent les enfants356. Une de ces protections considérée comme « naturelle » fait appel au domaine des fétiches dans la mesure où apparaît une notion de transfert de certains pouvoirs particuliers des animaux aux humains, comme le « serpent noir » [ŋgɛ̄kɛ̀], la « panthère » [súà], la « tortue » [kùndā] ou le « petit touraco » [kōlōkā]. Par contre, lorsque quelqu’un craint un empoisonnement, il utilisera le « piper umbellatum » [ndɛ́mbɛ̀lɛ̀mbɛ́]357 pour se protéger. Il semble que ce terme ait subi une réduplication, vraisemblablement pour masquer ses pouvoirs de « sorcellerie » ; il pourrait s’agir d’une stratégie d’évitement.

Lorsqu’il s’agit d’une maladie liée à un problème relationnel (au sein d’un couple ou dans le cadre professionnel) ou d’un esprit malveillant, le guérisseur peut associer plusieurs traitements. En effet, le malade reçoit non seulement des soins internes et/ou externes à base de plantes mais il est également placé au centre de certains rituels spécifiques qui font appel aux esprits – censés donner des indications sur le mal dont est atteint le patient – comme la « danse du feu » [bōmbā]. De plus, certaines conditions de médication doivent être scrupuleusement respectées comme par exemple : l’horaire d’application des soins (le moment de la journée à choisir est essentiel, souvent c’est au zénith, en plein soleil), la position du patient (assis, allongé, debout, face ou dos au soleil, etc.), l’ordre des différents soins à administrer, le choix de la personne qui va appliquer les soins et surtout le mode d’administration de ces soins (cf. exemple ci-dessous).Le processus de guérison dépend principalement du respect de ces diverses conditions de traitement thérapeutique.

‘Lors d’un accouchement, si la femme souffre et que le bébé ne sort pas, il faut préparer un remède à partir de la liane [lòbúbà] signifiant « Hugonia » (famille des linacées). La racine de cette plante est brûlée, la poudre ainsi obtenue est mélangée à de l’huile, ce qui donne une pâte noire très grasse. Ensuite, c’est au mari que revient la tâche d’appliquer ce remède à la parturiente de la manière suivante : l’homme enduit son gros doigt de pied de pâte et le frotte sur le ventre de son épouse, juste au dessous du nombril. La femme accouche alors très rapidement, dans les quelques minutes qui suivent.’

Toutefois, s’il s’agit d’une maladie « sans causalité déterminée », les conditions de réalisation du processus de médication sont moins contraignantes et revêtent un caractère moins primordial. Les médicaments prescrits sont alors très importants pour la guérison du patient et la connaissance de ceux-ci et des doses à administrer s’avère essentielle au risque d’empoisonner le malade ([sítí-mà] litt. « mauvaise-médication »).

Le traitement est envisagé sur une durée plus ou moins longue avec généralement plusieurs prises du médicament. Ce fait est original comparativement à d’autres conceptions de la maladie des sociétés qui entourent les Baka ; même les Gbaya répondent à un mal par une prise unique de médicament, et si cela ne convient pas, on change de médicament358. Ainsi les Fang, malades majoritairement rencontrés, ont du mal à concevoir qu’il est nécessaire de rester plusieurs jours, voire plusieurs semaines pour des cas plus graves chez les Baka.

‘Le cas d’un soin de gangrène m’a été rapporté par des Fang, des Baka, et confirmé par le Préfet en place à ce moment là, chez qui le malade a séjourné durant tout le traitement. Le malade atteint d’une gangrène avancée à un pied devait se rendre à l’hôpital pour une amputation. Il a alors décidé de se rendre chez les Baka, réputés grands guérisseurs, pour tenter de sauver son pied. Le malade s’est installé chez le Préfet et un guérisseur baka est venu tous les jours auprès du malade lui prodiguer des soins, ceci pendant plus d’un mois. Le patient a ainsi évité l’amputation, et la notoriété de ce guérisseur s’est, de fait, accrue.’

Cet exemple prouve qu’il s’avère parfois nécessaire que le traitement dure longtemps, mais malgré cela, les malades vont généralement se plaindre et prétendre que le guérisseur a trouvé un prétexte pour leur soutirer davantage d’argent.

Plusieurs termes relatifs aux soins, d’une manière générale, ont été collectés et sont présentés ci-dessous.

bánà

Glose : prendre soin dans le sens de « garder un malade »

Commentaire : chez BR. [bānà] : « conserver »

bándà

Glose : soigner

Synonyme :nā ɸítì, nā mɛ̂mà

bô

Glose : guérir

Synonyme: dàtɛ̄dà

Commentaire : chez BR. nā-bōò

dàtɛ̄dà

Glose : guérir

Synonyme : bô

Commentaire : terme non présent chez BR.

k ɛ ́kè

Glose : maladie

Synonyme : kò

Commentaire : [kɛ́kɛ̀] en var. libre

kò

Glose : maladie

Synonyme : kɛ́kè

kòl ɔ ̀

Glose : purge, purgatif

Traitement : Prendre soit du piment, soit des écorces de l'arbre etɛŋgɛ que l'on fait bouillir et que le malade boit 2 à 3 fois dans la journée (1 jour de traitement).

li ̄ kìli ̄ kì

Glose : commencement de la maladie

Commentaire : terme vraisemblablement redupliqué, chez BR. [līkì] signifie « frotter ».

l ɔ̄ k ɔ ̀

Glose : instillation nasale ou oculaire, collyre

Commentaire : les tons chez BR. sont BB

mà

Glose : médicament

m ɛ̂ mà

Glose : soigner

Synonyme : nā ɸítì, nā bándà

Commentaire : ton Dt de M

na ̄ kò

Glose : nourrir une femme accouchée ; nourrir (litt. conn. ?-maladie)

Commentaire :terme non présent chez BR.

ɸ ítì

Glose : soigner

Synonyme :nā mɛ̂mà, nā bándà

s ɔ̄ k ɔ ̀-k ɛ ́k ɛ ̀

Glose : épidémie (litt. saison-maladie)

Notes
356.

Non seulement les systèmes sont différents de par leur nature, mais également de par les plantes utilisées. Une grande écorce de pentaclethra macrophylla [mbālākā] sera placée au dessus de la porte d’entrée pour protéger la maison des mauvais esprits. Alors que l’on attachera une cordelette frottée avec plusieurs plantes autour de la taille des enfants, voire de certains adultes, pour éviter que ces mêmes esprits malveillants ne portent atteinte à leur santé.

357.

Les termes redupliqués ont souvent une connotation liée à la sorcellerie, cf. partie précédente concernant la flore.

358.

Paulette Roulon-Doko, communication personnelle, mars 2009, Paris.