4.2.4.4 Les guérisseurs

Les connaissances botaniques et, de fait, une grande partie de la médecine qui s’y rattache font partie du quotidien des Baka puisque ceux-ci vivent en milieu forestier. Il n’est donc pas surprenant de constater que la majorité d’entre eux, hommes ou femmes voire jeunes adolescents, savent soigner les maladies courantes, c’est-à-dire sans cause mystique décelée (fièvre, vers intestinaux, diarrhées, etc.). Pour les maladies conséquentes, en particulier celles qui sont liées aux esprits maléfiques où un pré-diagnostique a d’ores et déjà été formulé, certains membres de la communauté sont repérés comme des « guérisseurs » [ŋgàngà]. Ce dernier terme fang et plus largement bantu est donné prioritairement – ce qui tend à renforcer l’idée que les Baka se positionnent en fonction de l’ethnie majoritaire qui vient les consulter, mais également, que la langue fang tend à supplanter le baka même dans un domaine encore très vivace–,puis à force d’insistance les termes baka refont surface dont [wà-mà], littéralement « celui qui – médicament », qui renvoie directement au [ŋgàngà] dans son acception de guérisseur, et [wà-bóò], littéralement « celui qui – guérir », ou encore [ndì-mà], littéralement « ? – médicament » pour le grand guérisseur ou le grand sorcier. Tous ces termes sont des composés qui demeurent encore transparents (excepté l’élément [ndì]). Il est intéressant de noter la présence du terme médicament dans deux des trois termes présentés, ce qui laisse supposer a priori que le guérisseur fait usage de plantes (remèdes).Quant au terme [wà-bóò], il ne laisse pas supposer de pratique de sorcellerie dans la mesure où il est « celui qui guérit », non un sorcier lanceur de sort. Mais cette dichotomie de « bon » par rapport à « mauvais » n’a pas de réelle existence en soi, elle n’est fonction que de la situation en présence. Ainsi, d’après les propos tenus lors du Colloque International Médecines, Anthropologies et Cultures 359 , la pratique du guérisseur sera bénéfique pour le patient dont la maladie est « extraite » mais maléfique pour la personne qui l’attrapera de fait, car la maladie est appréhendée dans une dynamique circulatoire.

La notoriété des praticiens peut être reconnue jusqu’à Libreville située à plus de cinq cents kilomètres de Bitouga. Les hommes de ce village, reconnus comme guérisseurs sont au nombre de quatre, Gakolo (f.232), Mba (f.208), Léo (f.283) et Sumba (f.1). Ils sont bien entendu capables de chasser au même titre que les autres mais leur spécialité se situe au niveau de la pratique médicinale, alors que d’autres seront reconnus comme de bons chasseurs, voire des maîtres chasseurs tūmā pour certains comme Famda (f.24) ou Papo (f.112). Ces guérisseurs sont capables de soigner toutes les maladies répertoriées dans le corpus (ci-après) où des soins sont notés, mais au sein du groupe, chacun a sa (ou ses) spécialité(s) médicinale(s). Lorsque les malades arrivent au village, soit ils s’adressent directement au praticien qu’une de leurs connaissances leur a indiqué, soit ils annoncent le motif de leur visite et les habitants les orientent directement vers le guérisseur compétent. Mba est plutôt reconnu pour les troubles sans cause mystique décelée (diarrhée, rhumatisme, gangrène…), Gakolo et Léo sont contactés majoritairement pour des soucis de malchance et Sumba traite principalement les questions de stérilité. Quand le spécialiste est absent, le malade est orienté vers un des trois autres guérisseurs restants. Dans la mesure du possible, les habitants choisissent le praticien qui a le moins de patients en cours de traitement à ce moment-là.

De nos jours, pour se faire soigner, les malades ont deux possibilités :

La seconde solution commence à prendre de plus en plus d’importance car grâce aux nouvelles technologies comme le téléphone portable il devient facile de joindre le guérisseur que l’on souhaite faire venir. Depuis peu, une antenne a été installée à Minvoul et le développement de portables a suivi quasi-instantanément (beaucoup d’habitants possédaient déjà un téléphone qu’ils utilisaient lors de leurs déplacements à Oyem, ville plus importante située à environ cent vingt kilomètres de Minvoul). Ainsi, dans les villages, il devient exceptionnel de ne pas trouver au moins une personne détentrice de portable. D’autant que l’antenne offre une grande portée de captation et à vol d’oiseau les villages de forêt ne sont pas si éloignés de la ville, aussi est-il possible, à Bitouga, depuis 2005, d’avoir accès au réseau de téléphonie mobile.

Ainsi, au village de Bitouga, Jean-Marie (cf. maison n°1, plan p 134) et Sumba sont dorénavant détenteurs d’un téléphone cellulaire. Les relations, de par les nouveaux modes de communication, changent de fait même entre le guérisseur et les patients qui n’hésitent pas à rappeler leur praticien pour avoir certaines confirmations de soins voire d’autres soins annexes en fonction de l’évolution de la maladie. Les conséquences de ce changement de communication se situent également à d’autres niveaux, entre autres financiers, le malade reste moins longtemps au village sachant qu’il peut accéder à divers renseignements par téléphone et cela induit un manque à gagner évident pour le guérisseur qui peut fournir des informations autrefois révélées à demeure après négociations financières. Toutefois, toutes les pratiques de rémunération du guérisseur ne sont pas identiques. Certains d’entre eux prétendent ne rien réclamer à leurs patients – ces derniers offrant ce qu’ils désirent – alors que d’autres praticiens négocient les tarifs avant les soins. Aucune étude rigoureuse et systématique n’a été entreprise sur cette question de rémunération qui s’avère plus complexe qu’elle n’y paraît. En effet, d’après mes observations de terrain, j’ai pu constater que la femme d’un des guérisseurs prétendant ne rien demander, sous prétexte que c’est un don qui doit servir autrui, négociait souvent avec les patientes. Hormis le fait que ce tradi-praticien semblait gêné de la situation (du fait que je sois témoin), il est intéressant de connaître le rôle que joue les femmes des guérisseurs. On peut, en effet, se demander pourquoi ou comment une épouse peut se permettre de négocier si elle n’est pas concernée.

Notes
359.

Institut de Recherches Philosophiques de Lyon, 17-19 janvier 2008.