La transmission des connaissances du guérisseur se réalise généralement au sein de la famille361. Le guérisseur va chercher à transmettre son savoir à l’un de ses enfants s’il s’aperçoit que l’un d’eux est intéressé, sinon il peut s’adresser à sa femme362 ou à un autre membre de la famille. Le guérisseur donne les informations à son disciple lorsqu’ils sont en tête-à-tête, cela peut se passer la nuit si le guérisseur en éprouve le besoin. Ce dernier réveille l’apprenti pour lui révéler certaines pratiques importantes ou pour effectuer une protection à son égard. Le disciple doit, de fait, bien s’entendre avec son maître, et inversement, puisqu’ils sont amenés à partager la majeure partie de leur temps ensemble. Cette transmission totalement gratuite et nécessaire à la pérennisation du savoir s’effectue une seule fois pour chaque guérisseur au sein de sa famille, c’est dire l’importance du choix du disciple qui se voit assigner une responsabilité essentielle. Concernant cette transmission familiale il n’est absolument pas question de rémunération, les guérisseurs parlent de respect et d’amour entre eux-mêmes et leurs disciples.
Il est à noter ici que seul ce type de contexte implique un enseignement didactique explicite, habituellement les enfants apprennent par imitation et en situation. C’est pourquoi il est possible d’utiliser les termes de maître et disciple.
La transmission peut par ailleurs se réaliser plusieurs fois à l’extérieur du cercle familial, moyennant un don. Là encore, les situations varient en fonction des guérisseurs ; soit une somme est négociée entre lui-même et celui qui demande l’accès à ces connaissances médicinales, soit le guérisseur laisse libre cours au demandeur de fournir le don qu’il souhaite363. Le demandeur explique les circonstances de sa présence ici et généralement il s’avère que ce sont les esprits, lors d’une cérémonie initiatique, qui lui ont recommandé de venir se perfectionner chez les Baka. Le guérisseur doit alors effectuer une vérification des propos du candidat à l’aide de la danse du feu bomba ; les esprits donnant ou non leur approbation.
Néanmoins, certains demandeurs peuvent s’avérer perfides et se faire passer pour malades. Aussi, il est admis que lorsque le guérisseur réalise des remèdes, il est préférable qu’il ne consomme pas d’alcool à haute dose car, non seulement, il peut avoir des problèmes avec le patient, mais surtout, certains malades viennent spécifiquement tenter le praticien afin de lui soutirer des informations concernant leur savoir médicinal.
Les arbres qui poussent en forêt primaire et qui étaient utilisés par les anciens se trouvent à présent loin de la communauté du fait de la sédentarisation. Comme expliqué précédemment (cf. chapitre 3, mobilité), le village est le lieu de retour systématique des déplacements en forêt ‑ prenant ainsi la place du campement de forêt d’antan ‑ aussi les Baka se rendent de moins en moins loin en forêt profonde et sont de fait moins en contact avec certaines espèces d’arbres tel le « Maesopsis Eminii » [lɔ̄ndɔ̄] qui est reconnu comme un arbre qui peut soigner mais les informateurs ne se souviennent plus quelle maladie. De même, ils commencent à perdre une grande partie des dénominations de cette flore de forêt primaire (cf. partie précédente). Ceci est une preuve supplémentaire, s’il en faut, des conséquences néfastes de la sédentarisation imposée à cette communauté sur la pérennisation de leurs savoirs ancestraux.
La famille s’entend au sens large du terme d’après la conception des Baka et peut s’étendre à des cousins très éloignés ayant le même lignage que le père ou la mère d’Ego. Même si cette société est patrilinéaire, la famille de la mère s’avère également importante (cf. chapitre 3).
Aucune femme baka identifiée comme guérisseuse n’a encore été rencontrée.
Ainsi, une femme fang, tradi-praticienne désireuse d’acquérir de plus amples connaissances médicinales est restée trois semaines à Bitouga ; elle s’est ensuite acquittée de son dû en envoyant une machine à broyer en inox dont tous les habitants du village se servent pour écraser les arachides. Ce cadeau est ressenti comme un bien inestimable - même si le coût peut s’avérer moins élevé que certaines sommes laissées en espèces - le guérisseur prend particulièrement soin de cet objet afin de le préserver le plus longtemps possible alors que généralement les Baka ne se soucient guère plus de quelques jours des présents : celui-ci est symboliquement traité comme un trophée.