4.2.4.6 Synthèse

Comme vu tout au long de cette partie, la notoriété des Baka dans le domaine thérapeutique n’est plus à démontrer ni au Gabon, ni même dans les pays limitrophes. Néanmoins, la suprématie de leurs voisins fang et la notion de prestige liée à cette ethnie ont des impacts importants sur le positionnement des Baka ; force est de constater qu’ils décrivent en première instance leur système en fonction de celui des Fang.

Par ailleurs, d’autres points importants sont à retenir.

Le premier type de troubles fait principalement appel au biologique (causes non identifiables) et se place donc dans un cadre purement ontologique. Nous aurions pu penser que la thèse exogène telle que la définit Laplantine (1992) l’emporterait de ce point de vue, le modèle exogène renvoyant surtout au mode de vie, aux pressions sociales et/ou parentales. De nos jours, du fait d’un changement de mode de vie principalement imposé par le gouvernement, les Baka se retrouvent face à de nouvelles maladies liées à ce changement trop brutal impliquant un mode d’alimentation très différent comme le riz, le blé, le lait, le sucre, etc., et ceci en grande quantité, provoquant ainsi une réaction néfaste de l’organisme, sans parler de la consommation d’alcool fort. Ces produits, sont d’autant plus nocifs, qu’ils prennent une place considérable au sein des repas, bouleversant la proportion de protéines animales normalement consommée de manière majoritaire364. Or, le modèle ontologique essentiellement basé sur le biologique où la responsabilité du malade est totalement dégagée ne correspond pas à leur appréhension de la maladie, celle-ci n’arrive pas par hasard.

Laplantine (ibid. : 97) parle de « maladie-héritage » où souvent est évoqué une transgression d’interdit par la mère, en premier lieu, car elle est responsable de la grossesse, un parent proche ou un membre de la famille le cas échéant.

Ce modèle endogène considère le malade comme responsable de sa maladie, ce qui va au-delà de la responsabilité de la guérison puisqu’il est également à la source de sa maladie.

‘« … la maladie, tout en ayant son origine à l’extérieur du malade, a néanmoins été provoquée par ce dernier qui aurait parfaitement pu l’éviter. C’est par exemple le cas de la transgression d’un interdit chez les Baoulé de Côte-d’Ivoire. » (ibid : 104).’

Cette idée se retrouve chez les Baka qui finalement ne conçoivent pas la maladie indépendamment d’un facteur causal où le malade détient une responsabilité, même infime.

Les deux autres types de maladie se placent dans une perspective fonctionnelle où les deux approches exogène et endogène ont leur place selon que l’on considère la contraction de la maladie ou le processus de guérison. Comme nous venons de le voir la contraction de la maladie peut être envisagée dans une perspective exogène (sort jeté) ou endogène (transgression d’un interdit). Par contre, la guérison ne peut se concevoir sans une dynamique endogène où la responsabilité du malade est totalement engagée. Il ne peut être pensée de guérison sans participation du patient au processus ; c’est pour cette raison qu’une personne malade ne pourra être soignée si elle n’en fait pas explicitement la demande : le patient est l’acteur principal de sa maladie, il est placé au centre de sa guérison.

Quant aux attaques des esprits malveillants ou autres sorciers, elles sont considérées comme exogènes, dans une perspective fonctionnelle, créant un déséquilibre au sein de la famille, voire plus largement du groupe. Il s’agit ici du modèle additif comme l’entend Laplantine (ibid. : 109) où la tâche du guérisseur sera d’expulser symboliquement le ou les sorts jetés, grâce à des cérémonies spécifiques ; la danse du feu bomba, étant généralement pratiquée dans ce genre de cas.

Les modèles proposés ne sont donc pas exclusifs dans la mesure où un modèle peut prévaloir pour telle maladie et un autre pour telle autre. Par ailleurs, les champs externes et internes de la personne ne sont pas dans une relation de dichotomie stricte, puisque il existe toute une série de relations non négligeables entre le monde intérieur et extérieur de l’individu. Laplantine (1992 : 106-107) parle de bipolarité étiologique où

‘« la maladie peut être simultanément pensée dans les deux registres. […] Il devient, dans ces conditions, difficile, pour ne pas dire impossible, scientifiquement, de dénouer la pluralité des facteurs qui interviennent dans n’importe quelle maladie et donc de séparer ce qui revient à l’« intérieur » et ce qui renvoient à l’« extérieur ». »’

Ainsi au sein d’un même système, différentes appréhensions coexistent en fonction du type de maladie rencontrée ; système formant un tout où l’équilibre doit être maintenu afin de garantir, entre autres, la cohésion sociale.

Notes
364.

Pour plus de détails concernant cette problématique, cf. Conférence ICCBHG. Site :

http://www.cefe.cnrs.fr/ibc/Conference/ICCBHG.htm