4.2.5.2 La collecte du miel

Le miel est un aliment central dans la culture des Baka. Malgré le fait qu’il existe plusieurs sortes de miel dont certains sont amers, il n’en demeure pas moins que le miel [ɸɔ̀kì] est l’aliment le plus sucré des ressources puisées par les Baka dans la forêt. C’est la raison principale évoquée par les Baka de leur installation en forêt (cf. partie 3.1.1.1). D’après les différents mythes ou récits, les Blancs, ou autres Bilo, qui les accompagnaient en forêt, en sont sortis alors que les Baka ont été, en quelque sorte, interpellés par les abeilles leur faisant découvrir ce liquide sucré. Encore de nos jours, toute récolte de miel est une réjouissance, qu’il s’agisse de la variété dandu ou ɸoki, les plus consommées368.

Il n’existe pas moins de huit sortes de miel répertoriées auprès des Baka de cette région369. Ces divers miels ont été placés sur une échelle allant du plus sucré, le plus prisé, au plus amer.

Sur les neufs termes collectés, sept sont simples et deux s’avèrent complexes et pas totalement transparents. Ainsi [ɸɔ̀kì-ndzò] renvoie littéralement à « miel » et vraisemblablement à « boire » pour la seconde forme (même si le ton est bas au lieu de haut). Quant à [bɔ̀dɔ̀-díβá], la signification de la première forme n’a pas été identifiée alors que la seconde est « déchet ».

Figure 79. Le miel ɸɔ̀kì et le miel dàndù
Figure 79. Le miel ɸɔ̀kì et le miel dàndù

Comme présenté dans le présent chapitre partie , seul le terme de l’abeille [tòŋgìa] – celle qui fabrique ce fameux miel sucré, le ɸoki – est simple. Pour ce qui concerne toutes les autres variétés de miel le terme [mbwà] « trigone » sert à la composition de la dénomination de l’animal suivit du terme du miel dont il est question (mbwadandu, etc.). En effet, d’après les données de Brisson (1984) il existe un terme « spécifique » correspondant à la mbwamolɛŋgi, répertoriée au Gabon, soit [ndèngèlèngè].

La collecte du miel demande généralement une excellente condition physique, surtout lorsqu’il s’agit de grimper à plus de dix mètres du sol. Par conséquent, ce sont souvent les jeunes qui effectuent cette tâche, les plus âgés (au-delà de 30-35 ans) leur cèdant volontiers la place.

Figure 80. Reconstitution d’une récolte de miel à l’ancienne et collecte actuelle
Figure 80. Reconstitution d’une récolte de miel à l’ancienne et collecte actuelle

Lors d’une reconstitution réalisée par l’ensemble des habitants de Bitouga (en juillet 2004), soucieux de montrer les anciennes traditions, il a été possible d’observer qu’un certain nombre de pratiques sont encore connues par les jeunes. Ainsi, le jeune Mémé (environ 16 ans), sur la photo de gauche, est capable de reproduire les gestes des anciens pour la collecte de miel. De nos jours, cette technique réputée dangereuse n’est plus employée par les Baka qui estiment avoir perdu trop de proches de la sorte. En effet, si l’on compare les deux photos, les techniques de grimpe utilisées sont très différentes. La photo de gauche montre que l’individu fait reposer son corps en appui sur une liane accrochée le long du tronc grâce à des encoches réalisées au fur et à mesure de l’ascension (ce type de collecte a été filmée par Agland, et cf. vidéo 2, annexe DVD).

Sur la photo de droite, on note l’absence d’entaille : la personne se hisse, à la force des bras, jusqu’à l’essaim à l’aide de lianes qui parasitent l’arbre en question (lors de l’ascension : la hache est placée sur le creux de l’épaule comme lorsque les Baka se déplacent en forêt). Force est de constater que la technique actuelle demeure dangereuse (cf. vidéo 11 et 12, annexe DVD). Toutefois, si une liane cède, l’individu a toujours la possibilité de se raccrocher à une autre liane adjacente, d’autant qu’il a pris soin de préserver au moins deux de ses appuis (les doigts de pied coincent d’autres lianes afin de soulager quelque peu les bras).Or, la première technique a certes l’avantage d’offrir une liane d’appui qui peut permettre au grimpeur de faire des pauses, mais si celle-ci cède, l’individu n’a quasiment aucune possibilité de se rattraper. De plus, et c’est souvent à ce moment-là que les drames se produisent, le grimpeur, étant extrêmement fatigué à la descente, peut facilement raté une encoche et dégringoler alors trop rapidement sur la suivante ou glisser jusqu’en bas directement si le corps ne fait plus contrepoids en opposition (l’individu peut également tomber entre la ceinture et l’arbre si sa position n’est pas appropriée).

Une autre technique consiste à abattre l’arbre dans lequel un essaim a été repéré et qui est susceptible de contenir du miel. La coupe peut prendre plusieurs heures et il n’est pas certain que l’arbre tombera du bon côté quant à l’accès au miel. Dans ce cas, quelques heures supplémentaires seront nécessaires, une fois l’arbre au sol, pour accéder au liquide prisé (cf. vidéo 15 et photos 22 à 25 en annexe). Cette pratique n’est pas non plus sans risque car l’arbre en tombant emporte avec lui de nombreuses lianes qui vont chuter et entraîner d’autres arbres plus frêles qu’elles auront également parasités. Par ailleurs la chute de l’arbre peut également en casser d’autres. pour autant, ces risques sont moindres comparativement à ceux énoncés précédemment, il suffit de se tenir suffisamment à l’écart pour éviter toutes chutes ou projections.

mòkɔ̀βɛ̄ boîte à miel  
jèndà ceinture sur l'arbre qui sert à grimper
páŋgó corde qui s’insère dans les 2 nœuds de la ceinture de grimpe
ŋgòŋgò feuilles servant à faire des paquets pour le miel afin d’enfumer les abeilles  
gbà fait des paquets avec des feuilles de ŋgòŋgò
lɛ̀lɛ̀ larves d'abeilles (litt. petit-petit)
kpɛ̀kpɛ̄ miel en plaques  
pɛ̀ndī panier à miel  
jàndzī paquet de bois flambant  
ɸòkò petites entailles pour grimper à l'arbre
kīndā pollen  

Comme évoqué précédemment dans une note de bas de page, dix-sept sortes de miel avaient été collectés auprès des Baka du Cameroun par Brisson. Il n’est donc pas étonnant que ce précieux aliment ait une place aussi importante dans les récits mythiques des anciens et qu’il fasse partie des éléments communs aux divers récits. Toutefois, les Baka du Gabon ont un vocabulaire beaucoup moins étayé quant aux variétés de miel collectées.

Est-il encore une fois question de changement de mode de vie, ou de région moins riche en variétés ?

Un seul facteur ne peut être tenu pour unique responsable de ce constat, toutefois il paraît évident que plus le processus de sédentarisation est avancé, moins les Baka circulent profondément en forêt. Et de fait, la probabilité de trouver du miel est moindre.

Notes
368.

Malgré le fait que miel soit un élément naturel (i.e. n’ayant subi aucune transformation) un membre du village de Bitouga ne peut consommer la variété dandu sans craindre de forts maux de ventre, voire des vomissements. Cependant, il participera à la récolte mais s’abstiendra d’en consommer ne serait-ce qu’une infime quantité. S’agirait-il d’une quelconque transgression d’interdit ?

369.

Brisson (1984 : 265) en avait collecté dix-sept chez les Baka du Cameroun, soit onze non inventoriés dans le présent travail du fait que Brisson ne recense pas le [ɸɔ̀kìndzò] et le [ēlè].

«  –mɔ̀kɔ̄ et pɛ̀ndɛ̀ « qu’on trouve en terre », mòpāvèlē : « miel amer, fait mal au ventre », pɔ́lī « des arbres morts », ē/līmbē « près du sol, toute variété », è/tòbā « miel à mi-hauteur », -mòbāyì « miel toxique » (du nom d’un arbre), -mòngāmbā « miel amer et pimenté » (d’un arbre à fleurs anciennes), èkóánɔ̀ « des arbres tombés », è/ɓɔ̄lɔ̄, bìbīì. »