4.3 Conclusion

Ce chapitre a permis, entre autres, de confronter l’analyse des données baka aux modèles proposés par différents auteurs que sont Berlin, Rosch ou Kleiber. Les diverses formes arborescentes, beaucoup trop rigides et donc nécessairement réductrices, se sont avérées inefficaces pour une présentation en adéquation avec ces données. En effet, à partir du moment où le chercheur passe plus de temps à essayer de faire coïncider ses données au modèle prédit et à lister les multiples difficultés qui en résultent, il est permis de remettre en cause l’existence même d’un tel modèle.

Le problème fondamental réside dans le fait de privilégier tel critère par rapport à tel autre, un choix qui ne correspond pas forcément à la vision des choses de la communauté étudiée. Il est alors nécessaire de présenter autant d’arbres que de critères fournis par les membres du groupe, ce qui est loin d’être économique. Or la présentation des données sous forme d’ensembles multifactoriels, suivant Roulon-Doko (1998), permet non seulement de prendre en considération les divers critères sous une seule représentation, mais également de ne pas introduire de notion de hiérarchie entre ceux-ci. Il est d’ailleurs possible de trouver cette idée de pluridimensionnalité dans les propos de Kleiber (1990 : 146) qui tenant compte de plusieurs référents donne ainsi plus de poids à sa théorie.

‘« Une réponse plus précise, qui s’appuie principalement sur le concept de ressemblance de famille, entraîne une extension de la théorie standard en une version multiréférentielle beaucoup plus puissante. »’

La prise en compte d’une pluralité de facteurs au sein d’un même modèle peut, dans une certaine mesure, le complexifier, mais lui confère une validité écologique supérieure.

Par ailleurs, il est important de faire une distinction entre catégorisation et dénomination. En effet, l’absence de terme n’est pas révélateur du manque de concept : l’ensemble « singe sans queue » s’opposant à kema « singe à queue » a une existence réelle chez les Baka. Et les lexèmes complexes ne renvoient pas nécessairement à un niveau subordonné. En effet, les données collectées auprès des Baka viennent contrecarrer l’idée répandue que plus les termes sont spécifiques plus ils sont composés ; les pourcentages de termes simples fournis s’avèrent élevés. Ainsi, dans le domaine de la maladie, le taux atteint près de 63%. Pour la faune il avoisine les 85%. Quant à la flore où le score est le plus élevé, il est proche des 90%. Ces résultats sont d’autant plus importants que le baka est une langue qui, du point de vue morphologique, recourt fréquemment à la composition. Aussi, la prudence est de mise quant aux généralisations qui ne prennent pas suffisamment en compte non seulement les différents types de situation (contextes), mais également les types de société étudiée (lettrée, sédentaire, chasseurs-cueilleurs, etc.), et, de fait, le public visé (spécialiste vs néophyte) qui n’a pas de réelle pertinence dans des sociétés égalitaires.

Ainsi, suivant l’idée de William Croft (2010) selon lequel « grammatical categories are language specific ; speakers learn them through language use », il apparaît non seulement que les catégories sont spécifiques à la langue, mais qu’elles peuvent également varier en fonction des individus. L’auteur ajoute ensuite que « [there are] no universal conceptual categories ; there is a universal conceptual space of holistically-conceived situation types ». Ce sont effectivement les capacités cognitives qui sont universelles, c’est-à-dire les aptitudes qu’ont les individus à classer, catégoriser, associer.