Diverses pistes
- En l’état actuel des recherches concernant les chasseurs-cueilleurs, la constitution d’un lexique spécifique à ces communautés s’avère nécessaire et essentielle. Un réseau de jeunes chercheurs travaillant sur ce type de population s’est d’ores-et-déjà mis en place ; la collaboration devra rapidement s’étendre à tous les spécialistes de la question en Afrique centrale. Les diverses listes de vocabulaires spécialisés devront systématiquement être testées auprès des chasseurs-cueilleurs (les anthropologues pourront éventuellement être accompagnés de linguistes, ces équipes ayant déjà fait leurs preuves sur d’autres projets comme OMLL-OHLL). La mise en commun des données et leurs confrontations, grâce à l’expertise linguistique et anthropologique des chercheurs en présence, vont certainement permettre de répondre à un certain nombre de problématiques jusqu’alors non élucidées. Cette approche comparative pluridisciplinaire prendra en considération toutes les recherches effectuées sur ces populations pouvant contribuer de près ou de loin à la résolution des questionnements posés (emprunts, contacts, migrations, etc.) ; des disciplines comme la génétique, l’histoire, l’archéologie seront mises à contribution.
- La question de la reconstruction des termes de la catégorie des mammifères en proto-bantu (PB) a été soulevé de nombreuses fois et en particulier par Mouguiama-Daouda qui a constaté que les animaux localisés essentiellement en forêt posent des problèmes de reconstruction. Les cognats ne sont pas partagés par les langues bantu de l’est370. Ces termes feraient alors partie d’un savoir récent (i.e. moins ancien que le PB), vraisemblablement empruntés à une population ayant une grande connaissance de ces animaux comme les communautés de chasseurs-cueilleurs vivant au cœur de la forêt. La constitution du lexique spécifique évoqué ci-dessus pourra contribuer de manière essentielle à ce type de problématiques, l’inverse étant vrai également. Ainsi, le terme pour « potto » pris comme exemple par Bahuchet (1989 : 97), soit jinde en aka et junde en baka, comme un des termes non partagés par les langues oubanguiennes et bantu, se trouve présent très localement (au sud Cameroun et nord Gabon) dans des langues A70 : awun en beti et en fang. En revanche, chez les Baka du Gabon, le terme junde ne semble pas attesté contrairement au lexème katu, à rapprocher de kɛtu en monzombo.
La question de l’existence d’une ancienne « langue pygmée » commune aux différentes populations de chasseurs-cueilleurs a le mérite de poser un certain nombre de problématiques de recherches qui permettent d’aborder la linguistique comparative et historique, l’ethnologie, l’anthropologie, l’histoire, la génétique et finalement la linguistique cognitive. Il paraît évident qu’il n’est pas possible de parler d’une langue sans évoquer la population qui utilise cette langue. La langue et la culture sont à envisager comme deux doigts d’une même main ou, comme diraient les Baka : « ils marchent ensemble ». Ce n’est donc pas tant la réponse à la question en tant que telle qui s’avère la plus intéressante, quoique cette hypothèse ait déjà fait couler beaucoup d’encre, mais toutes les problématiques de recherche que cette question de « langue pygmée » peut soulever. Il est d’autant plus évident que la réponse ne saurait être donnée sans avoir mis en commun et analysé toutes les données concernant ces populations de chasseurs-cueilleurs.
Notes
370.
D’après Philippson et Mouguiama-Daouda, communication personnelle, DDL, Lyon.