Introduction

La question de la valorisation territoriale des productions agricoles, entendue comme l’obtention d’une valeur ajoutée due à la valorisation économique de caractéristiques liées à l’espace d’origine de cette production, se pose aujourd’hui avec acuité aux acteurs des agricultures françaises et européennes concurrencées par les pays à faible coût de production. Dans ce contexte, leur marge de manœuvre est étroite : soit délocaliser la production dans les espaces à coûts avantageux, soit chercher à valoriser les interrelations existantes entre la production et son espace. La forme de valorisation territoriale la plus connue est celle qui associe des caractéristiques intrinsèques d’un produit à son origine géographique. C’est le cas des « produits de terroir »2 et des démarches d’identification par un SIQO3 (AOC/IGP) qui se multiplient en France. Plus généralement, la notion d’indication géographique 4 s’internationalise pour défendre les spécificités territoriales de certains produits agroalimentaires. Or, ces stratégies ne fonctionnent pas pour tous les produits, ni pour tous les territoires considérés.

Elles sont en effet mal adaptées au cas de l’arboriculture de la Moyenne Vallée du Rhône, qui ne correspond pas aux caractéristiques des produits dits de terroir. C’est une production diversifiée, multi espèces et multi variétés, modernisée, standardisée et située sur un espace de carrefours sans identité territoriale propre. En « crise » depuis 1992, cette activité centenaire, qui a fait la gloire des départements de la Drôme, de l’Ardèche et de l’Isère, est aujourd’hui menacée de disparition : 26% des vergers six espèces ont été arrachés entre 2000 et 20075. Face à la concurrence internationale orchestrée par les groupes de la grande distribution, l’arboriculture de la Moyenne Vallée du Rhône n’est pas assez compétitive. Les vergers sont ainsi délocalisés vers le sud de la France et de l’Europe. Cette agriculture est-elle condamnée à disparaître de son espace d’origine ? Le contexte territorial de ce bassin de production ne peut-il offrir des ressources permettant de mieux valoriser les fruits ? et donc de maintenir une arboriculture économiquement viable dans la Moyenne Vallée du Rhône ?

Dès lors, la question posée ici suppose de dépasser le cadre de réflexion des produits de terroir : qu’en est-il des productions sans spécificité territoriale avérée ? N’étant pas adaptées aux formes de valorisation territoriale connues, sont-elles condamnées à une délocalisation vers des contrées à moindre coût de production, à l’instar de ce que l’on observe dans l’industrie ? L’analyse des liens existants entre une production et son espace géographique ne peut-elle être élargie pour envisager d’autres formes de valorisation territoriale ?

Notes
2.

Le terme de terroir « renvoie à des terres agricoles aux spécificités physiques (composition chimique, exposition, précipitations) précises, contrôlées et modifiées par un long travail humain. Le terroir, notion assez spécifiquement française, est donc conçu comme une coproduction sur la longe durée entre un lieu et le travail de plusieurs générations. » (Alary et al., 2009, p. 663). Les produits de terroir se caractérisent par une typicité liée à leur terroir de production (Casabianca et al., 2005). Néanmoins, ce terme à la mode est souvent employé dans le même sens que produits locaux, produits régionaux, produits traditionnels, authentiques ou artisanaux (Alary et al., 2009, p. 664).

3.

Signe d’Identification de la Qualité et de l’Origine : Appellation d’Origine Contrôlée et Indication Géographique Protégée.

4.

La notion d’indication géographique (IG) est définie par un accord international (TRIPS agreement). Elle identifie un produit qui est originaire du territoire d’un des pays membres du TRIPS agreement, ou d’une région ou d’une localité de ce territoire, et dont une qualité donnée, une réputation ou une autre caractéristique de ce produit est essentiellement attribuable à cette origine géographique. La notion d’IG a fait l’objet d’un programme de recherche européen, visant à identifier et analyser les produits IG dans le monde. A ce propos, voir les résultats des travaux de recherche du réseau Siner-GI, coordonné par Bertil Sylvander, disponibles en ligne sur le site : www.origine-food.org .

5.

Pour les départements de la Drôme, de l’Ardèche et de l’Isère, le verger six espèces représentait 20 502 ha en 2000 pour seulement 15 209 ha en 2007 (agreste, RGA 2000 et enquête verger 2007). Le verger six espèces concerne les abricots, les cerises, les pêches-nectarines, les pommes, les poires et les prunes.