La notion de ressource territoriale

Tout lien bassin de production-territoire peut-il être mobilisé pour construire une valorisation territoriale ? Comment passe-t-on d’une lecture « statique » des interrelations entre production et territoire à une analyse orientée vers la recherche de valorisation territoriale ? La notion de ressource territoriale, incluant une dimension de construction sociale à l’intérieur d’un projet de développement, le permet.

La notion de ressource a été développée par les géographes et les économistes travaillant sur le développement. Dès 1980, dans le quatrième chapitre de son ouvrage, dénommé « Ressources et Pouvoir », Claude Raffestin explique que les différentes matières naturelles ne deviennent ressources que lorsque les hommes leur attribuent des propriétés. La définition donnée par Roger Brunet va dans le même sens (Brunet et al., 1993) : la ressource désigne les moyens dont dispose un individu ou un groupe pour mener à bien une action, pour créer de la richesse. Ainsi, une ressource n’existe que si elle est connue, révélée et exploitable, que si des hommes lui attribuent une valeur d’usage. Pour les spécialistes du développement local, la notion de ressource renvoie à des facteurs de compétitivité immatériels, expliquant le développement de certains territoires31 : la coordination des acteurs favorise la coopération, l’innovation, la flexibilité et la réactivité permettant aux entreprises de s’adapter sans cesse au marché. Enfin, les travaux plus récents concernant les produits agroalimentaires de qualité et le développement territorial ont investi la notion de ressource d’une finalité de qualification ou de différenciation du territoire et/ou des produits. Les ressources décrites sont alors de différentes natures, patrimoniales (Berard et al., 2006), culturelles (Bleton-Ruget, 2004), naturelles (Camagni et al., 2004) et généralement une combinaison de celles-ci (Vandecandelaere, 2002).

La synthèse de ces différentes approches a amené les chercheurs du laboratoire « Territoire » de l’Institut de Géographie Alpine, autour de Bernard Pecqueur et de Hervé Gumuchian32, à développer la notion de ressource territoriale. Ils la définissent comme « une caractéristique construite d’un territoire spécifique et ce, dans une optique de développement. » (Gumuchian et Pecqueur, 2007, p.5). Elle comporte quatre grands traits. D’abord, des attributs de position et de localisation qui sont liés à l’histoire du lieu, aux apprentissages locaux, puis des attributs liés à sa constructibilité, qui sont à rapprocher des jeux d’acteurs locaux, de leurs coordinations et des conflits. Elle s’inscrit en outre dans une complexité systémique, c’est-à-dire qu’elle résulte d’une synergie de ressources locales combinées au sein du projet de territoire. Enfin, elle comporte un sens, ou une nature idéelle, ainsi qu’une temporalité propre, qui sont liés à sa matrice territoriale.

Néanmoins, cette acception de la notion de ressource territoriale ne peut convenir tout à fait à notre cas, cela pour deux raisons principales. La Moyenne Vallée du Rhône ne correspond pas à une entité territoriale homogène alors que la notion de ressource territoriale telle qu’elle est définie par Hervé Gumuchian et Bernard Pecqueur est fortement associée à une construction territoriale. En outre, dans notre cas, nous ne recherchons pas uniquement les ressources territoriales déjà construites, mais également celles reconnues et non valorisées, ou encore celles qui sont mobilisées presque « inconsciemment » par les acteurs. Aussi, nous retiendrons une définition de la notion de ressource territoriale proposée par Federica Corrado lors du colloque organisé par le laboratoire « Territoire » sur cette notion : « la ressource territoriale représente la découverte et l’actualisation d’une valeur latente du territoire par une partie d’une société humaine qui la reconnaît et l’interprète comme telle, à l’intérieur d’un projet de développement local » (Corrado, 2004, p.23). Cette acception présente l’intérêt d’intégrer la dimension dynamique, de constructibilité de la ressource. Nous utiliserons ainsi l’adjectif « territorial » dans le sens où la ressource est issue des liens entre le bassin de production et le territoire. Elle est par conséquent spécifique puisqu’elle dépend à la fois des caractéristiques de ces liens et du système de reconnaissance et de valorisation local.

Il s’agit alors de comprendre le processus de reconnaissance et de valorisation des ressources territoriales par les acteurs concernés. Cela nous amène à mobiliser le travail de Leïla Kébir (2006). Pour elle, la ressource résulte d’une relation entre un objet (connaissance, matière première, etc.) et un système de production. « La relation objet système de production s’établit dès lors qu’une intention de production est projetée sur un objet (connaissance, savoir-faire, minerai, bâtiment, etc.). Entité propre (un château est un château), l’objet devient ressource, c’est-à-dire un intrant mobilisable dans le cadre, par exemple, du système de production touristique (un château est un bâtiment remarquable). Dans ce contexte, la ressource est relationnelle, elle ne préexiste pas. C’est un construit situé dans le temps et dans l’espace. » (Kebir, 2006, p. 703-704). Ainsi, l’étape de projection d’une intention de production ou de valorisation sur un objet, en lien avec un système de production donné, constitue la phase de reconnaissance, donc de construction de la ressource. Ce processus met en jeu :

Quatre dynamiques33 d’évolution de la ressource sont distinguées par Leïla Kébir, selon la manière dont objet et système de production interagissent l’un avec l’autre. La dynamique de « mise en valeur » est celle qui se rapproche de la problématique de l’arboriculture de la Moyenne Vallée du Rhône, lorsque l’évolution de l’objet entraîne positivement celle du système de production, notamment en suscitant le développement de l’activité productive. Dans ce cas, « le système de production se structure autour de la valorisation de l’objet en question, en cela il est en émergence. L’identification de la ressource n’est pas encore stabilisée, le processus de mise en œuvre non plus. Les marchés sont à constituer de même que le processus de production du bien ou service qui est en phase de mise en place. » (Kebir, 2006, p.705). L’analyse de ce cas montre que la phase de « mise en ressource », c’est-à-dire d’identification de la ressource par les acteurs concernés, est une étape à la fois indispensable et extrêmement délicate, puisqu’elle entraîne toute une série de ruptures : rupture dans les types d’activité de production ou de valorisation ; rupture dans les formes d’organisation et de coordination de la ressource ; rupture dans l’échelle territoriale à laquelle est valorisée la ressource.

Par conséquent, la dynamique de mise en ressource peut se traduire par la modification des échelles spatio-temporelles. En effet, l’objet entraîne la dynamique spatio-temporelle de la ressource, servant ou au contraire contraignant le système de production. Cela conduit à la révélation de « territoires de réaffectation », dépendant de l’échelle de la ressource et du collectif d’acteurs. « Ainsi, le territoire de la ressource est celui dans lequel se structure le projet, se rassemblent les forces nécessaires à la réaffectation de l’objet et où les dynamiques d’acteurs chères à la création de ressources émergent. Il y a ancrage de la ressource. » (Kebir, 2006, p.714).

Le processus de reconnaissance et de valorisation de ressources peut conduire à l’émergence de nouveaux territoires de projets, ne correspondant pas forcément à l’échelle du système de production préexistant, donc à celle du bassin de production de la Moyenne Vallée du Rhône. L’identification de ressources territoriales, dont certaines ne concernent qu’un espace précis du bassin de production (plateau ardéchois, zone périurbaine), ou un groupe d’acteurs restreint (rassemblés par une identité territoriale forte, ou par une conception commune du métier), peut donc amener à des recompositions importantes du bassin de production. Or, cela pourrait remettre en question l’équilibre de fonctionnement actuel du bassin, donc entraîner des conflits et soulever des oppositions aux projets de la part des représentants de ce mode de fonctionnement. A ce propos, Leïla Kébir préconise d’ « anticiper les éventuels changements de territorialité inhérents à l’évolution des ressources. » (Kebir, 2006, p.720). Cela nous amène à préciser nos questions et notre hypothèse de recherche.

Notes
31.

Voire les travaux suivants : Benko et Lipietz, 1992; Benko et Lipietz, 2000; Gilly et Torre, 2000; Pecqueur et Zimmermann, 2004.

32.

Un séminaire a été consacré à la question de la ressource territoriale, dont les actes ont été publiés (Gumuchian et Pecqueur, 2004) et qui a finalement donné lieu à la publication d’un ouvrage (Gumuchian et Pecqueur, 2007)..

33.

Les trois premières dynamiques ne concernent pas notre terrain. Elles sont les suivantes : la ressource suit une dynamique de croissance renouvelable lorsque le système de production entraîne positivement l’objet. Au contraire, lorsqu’il exploite la ressource sans assurer la reproduction, il affecte négativement l’objet, la ressource régresse, elle entre dans une dynamique d’érosion et/ou d’épuisement. Lorsque l’objet vient à manquer au point de limiter ou d’empêcher la production, alors la ressource entre dans une dynamique de pénurie.