Posture méthodologique inductive

Il s’agit d’interroger comment l’articulation entre le bassin de production et ses territoires, selon plusieurs échelles et différents pas de temps, permet ou non son adaptation à l’émergence de nouvelles formes de valorisation territoriale. L’ampleur de l’objet de recherche implique de concentrer le travail sur une étude de cas, afin d’en cerner à la fois les différentes dimensions (particularités de la production, de l’espace, de leurs interrelations) et toute la profondeur (historique, sociologique, idéologique). Cela a nécessité l’élaboration d’une méthodologie particulière, construite à la fois sur les acquis de la littérature traitant des liens produits-qualité-territoire tout en restant ouverte à la nouveauté de l’objet que nous traitons. Pour cela, un dispositif de recherche de terrain très inductif et croisant différentes méthodes d’observation a été mis en place.

Ainsi, un premier travail de recherche bibliographique a été mené à partir des deux corpus présentés précédemment. Il a permis de caractériser la diversité des formes existantes de valorisations et de ressources territoriales et d’interroger leur applicabilité aux caractéristiques d’un bassin de production fruitier. Ceci a conduit à l’élaboration d’une typologie (Tableau 2) à partir de laquelle nous avons questionné le terrain.

Tableau 2: Typologie des formes de valorisation territoriale observées dans la bibliographie
Type de valorisation territoriale Liens au territoire mobilisés Origine de la plus-value Types de productions concernées Type de coordinations Remarques
Stratégies ne passant pas par le marché Multifonctionnalité de l’agriculture Rémunération consentie par la société (locale) Toutes, en fonction de leurs externalités Public-privée Modalités de partenariat entre secteur et territoire à élaborer
Stratégie de synergie territoriale (SPL ou SYAL) Coopération permise par des liens de proximités Réactivité et adaptabilité de la production par l’innovation Industrielles, productions agroalimentaires sous SIQO Plurisectorielles et public-privée Adaptation de la notion SYAL à des produits non spécifiques
Valorisation par une qualité territorialisée (AOC/IGP, marques)  Typicité du produit
Image de qualité du territoire
Prix supérieur ou préférence d’achat du consommateur Produits typiques, de terroir. Sectorielle à l’échelle territoriale. Concurrence croissante des MDD sur ce créneau
Valorisation par une rente de qualité territoriale
Panier de biens et services territorialisés.
Image de qualité du territoire
Prix supérieur des produits. Produits et services pouvant entrer dans le panier de biens d’un territoire : certaine typicité Plurisectorielle et public-privée Possible sur des territoires à forte identité.
Valorisation par la patrimonialisation

Liens culturels et identitaires (savoir-faire, paysage, bâti, traditions). Prix supérieur ou préférence d’achat du consommateur Activités et produits La patrimonialisation est plus forte avec coordination plurisectorielle et public-privée Stratégie très souple, qui peut se construire à l’échelle individuelle, collective ou territoriale.
Réseaux territoriaux (ex : route des vins)
Diversité locale d’un même produit.
Aménités du territoire (paysages, routes, autres produits)
Prix supérieur ou préférence d’achat des consommateurs Densité minimum de producteurs.
Productions qui se goûtent ou se visitent.
Sectorielle, liens avec le public pour utilisation des routes et des biens publics locaux Nécessite spécification territoriale suffisante et organisation en « club » pour maintenir une rente.
Valorisation par la qualité environnementale
Externalités environnementales Prix supérieur ou rémunération de la société locale Toutes Secteur-territoire Difficile aujourd’hui de lier les labels Bio à une identité territoriale.
Valorisation par d’autres valeurs reconnues à la production Fonctions économiques et sociales de l’agriculture.
Prix supérieur ou préférence d’achat du consommateur.
Notion de « commerce équitable Nord-Nord », ou de « produit à promesse de durabilité ».
Toutes pourvues qu’elles respectent certaines normes sociales et environnementales Secteur - territoire Modalités de mise en œuvre non encore explorées.
Concurrence des GMS sur ce créneau.

Ensuite, la plus grande partie du travail a consisté en la compréhension du terrain. L’objectif initial était de décrire le fonctionnement du bassin et d’y identifier des ressources et des formes de valorisations territoriales afin de les analyser. Or, les évolutions en cours dans l’arboriculture de la Moyenne Vallée du Rhône se sont avérées si rapides, le fonctionnement des opérateurs s’est révélé si complexe, qu’il nous a fallu adapter la recherche et approfondir des questions initialement non prévues. Ainsi, le recueil des données de terrain s’est appuyé sur deux types de sources : les sources bibliographiques et l’enquête de terrain.

Les sources bibliographiques se composent d’abord de deux thèses de géographie régionale portant sur cet espace, rédigées par les géographes Daniel Faucher et Jacques Béthemont, respectivement en 1927 et en 1972. Elles offrent une perspective historique intéressante, la première étant située au commencement de l’arboriculture fruitière dans cet espace, la seconde prenant date au moment de sa modernisation34. En outre, des mémoires d’étudiants et rapports administratifs portant sur des portions de l’espace de la Moyenne Vallée du Rhône, à différentes dates, nous ont été confiés par les services documentaires des Chambres d’agriculture de la Drôme et de l’Ardèche35. Ils offrent des compléments d’information utiles sur les aspects agronomiques et technico-économiques du bassin de production. Le dernier corpus est constitué par les travaux menés pour le projet PSDR II. Ils rassemblent les comptes-rendus d’entretiens menés en 2002 auprès des acteurs institutionnels de la filière36, avec la totalité des organisations de producteurs (OP) de la Drôme et de l’Ardèche37, ainsi que les travaux de synthèse38. Ce précieux matériau a permis de comprendre rapidement le fonctionnement du bassin de production et de l’inscrire dans une perspective temporelle, en comparant l’état décrit en 2002 à celui observé au cours de la thèse (2005-2009).

Néanmoins, le plus important volume de sources provient de l’enquête de terrain, menée sur les quatre années de recherche auprès de 150 personnes. Elle articule plusieurs types de méthodes, appliquées à différentes échelles, en fonction du cheminement du raisonnement. Ainsi, entre enquêtes systématiques, observation participante et études localisées, nous allons détailler la méthodologie générale en replaçant chaque phase de recherche dans la chronologie de la construction de nos résultats.

Notes
34.

L’article d’Alain Coustaury, étudiant sous la direction de Jacques Béthemont, alimente également la connaissance de la période de modernisation de l’arboriculture (Coustaury, 1966).

35.

Voir les travaux suivants : Alamandy et Orazzo, 1982; Bornand, 1972; Desmoulins, 1925; Dussert, 1969; Perignac, 1987; Pierre, 1989.

36.

18 comptes-rendus d’entretiens réalisés par Jean Pluvinage, Stéphane Bellon, Sophie Dubuisson, Mireille Navarette, Christine De Sainte-Marie auprès des Chambres d’agriculture, de la SEFRA, de la DDAF, de l’INRA, de la FNPF, d’organismes techniques, etc.

37.

17 comptes-rendus d’entretiens réalisés par Jean Puypalat.

38.

Notamment le rapport de synthèse final (Pluvinage et al., 2005), un mémoire de DEA de sociologie portant sur les types de configurations de mise en marché au sein des OP (Puypalat, 2002), un mémoire d’ingénieur portant sur la formation des prix au sein d’une OP de type syndicale (Monier, 2005).