Discussion de la méthode

Plusieurs points de cette méthodologie méritent qu’on s’y arrête. Les choix opérés sont ceux qui nous ont semblé les plus pertinents en regard de l’objet étudié et des contraintes de temps et de moyens. Ils apportent un certains nombre d’avantages, mais ils ont également des limites.

D’abord, en comparaison aux thèses soutenues dernièrement sur la thématique des formes de valorisation territoriale, l’analyse d’un seul « terrain » peut paraître surprenante. La tendance actuelle favorise les approches comparatives49 de plusieurs cas afin d’en dégager les grands mécanismes, les facteurs favorables, contraignants, etc. Le projet de recherche initial envisageait d’ailleurs une comparaison internationale entre les démarches de valorisation territoriale observées en Moyenne Vallée du Rhône et celles existantes en Italie (pomme Melinda AOP) et en Suisse (marque Suisse Garantie). Mais l’analyse des premiers résultats tirés de l’enquête de 2006, en particulier l’échec des initiatives collectives, ainsi qu’un premier voyage d’étude réalisé en Suisse (Genève, cantons de Vaud et Valais) ont conduit à l’abandon du projet de comparaison internationale à la faveur d’un approfondissement du cas de la Moyenne Vallée du Rhône. En effet, la méthode comparative suppose une analyse des terrains nécessairement restreinte, centrée sur un angle d’attaque précis émanant des hypothèses initiales. Or, l’étude de phénomènes en émergence, mouvant, comme c’est le cas en Moyenne Vallée du Rhône, nécessite une approche plus complexe, croisant différentes entrées théoriques et thématiques afin de comprendre les mécanismes à l’œuvre. Concentrer le travail sur un seul terrain nous a ainsi permis d’approcher les différents types d’opérateurs du bassin et du territoire, et d’intégrer une dimension temporelle. Dans la méthode d’enquête, il nous a semblé fondamental de ne pas rencontrer seulement les « portes-paroles », responsables professionnels et quelques leaders charismatiques qui sont les personnes fréquemment questionnées dans les travaux, mais d’entendre aussi et peut-être surtout les « sans-casquettes », adaptant leurs pratiques aux évolutions actuelles et représentant parfois des points de vue oubliés par les discours officiels50. Ce n’est qu’une fois cette étape franchie, le fonctionnement de l’arboriculture de la Moyenne Vallée du Rhône étant bien élucidé, qu’une comparaison peut s’avérer opératoire, d’autant plus avec des situations aussi différentes que sont celles de la Suisse (marché encore protégé) et de l’Italie (place importante de la coopération dans la production et la distribution, grande autonomie régionale).

En termes de limites, nous tenons à mentionner la difficulté de travailler sur un objet en émergence, donc mouvant. Certaines initiatives collectives identifiées et suivies dans la première année de thèse ont été abandonnées, d’autres ne parviennent pas à aboutir, d’autres ont émergé beaucoup plus tard. Il s’est agi de distinguer les causes sous-jacentes, entre vrais problèmes organisationnels ou commerciaux et jeux de pouvoirs personnels dans un contexte où les enjeux politiques étaient exacerbés51.

Enfin, malgré une grille d’analyse large, l’échelon de la distribution régionale est certainement celui qui fut le moins traité. Cela pour deux raisons. L’hypothèse initiale postulait que la mobilisation de ressources territoriales pouvait se faire à travers le rapprochement production-consommation, ce qui suppose donc une émancipation des circuits de la distribution dominante. Ensuite, parce que l’échelon de la distribution, concentré par la grande distribution, est celui qui pèse le plus sur les prix et semble le moins favorable à l’émergence de formes de valorisation territoriale (par la concentration des enseignes et leurs stratégies de marques de distributeurs). En outre, les enquêtes menées auprès des différents opérateurs, des consommateurs ainsi que la bibliographie permettent d’appréhender, de manière certes trop générale et indirecte, les stratégies développées actuellement dans la distribution.

Notes
49.

C’est le cas des thèses suivantes : Francois, 2007; Frayssignes, 2005; Hirczak, 2007; Scheffer, 2002; Vandecandelaere, 2002.

50.

Pour ne donner que quelques exemples, c’est le cas du producteurs qui n’a aucune idée de l’existence de projets de soutien à l’agriculture de la part des collectivités territoriales ; c’est aussi le cas du chargé de mission agricole de la collectivité territoriale qui explique que les projets rédigés sont en réalité sous-réalisés ; c’est enfin le cas des producteurs qui affirment réaliser une part importante de leurs chiffres d’affaires par des circuits alternatifs à l’expédition de masse quant les discours officiels jugent ces circuits marginaux.

51.

Enjeux à la fois professionnels et généraux, puisque les élections des Chambres d’Agriculture ont eu lieu en janvier 2007 et les élections municipales et législatives sont intervenues au printemps 2008.