a) Les opérateurs situés dans la Moyenne Vallée du Rhône : production et première mise en marché

Les fonctions de production fruitière et de première mise en marché sont celles qui sont les plus importantes dans la Moyenne Vallée du Rhône. La production fruitière se caractérise par une forte technicité, d’autant plus exigeante que les producteurs cultivent plusieurs espèces et jusqu’à plusieurs dizaines de variétés par espèce pour étaler la production sur la saison. Ainsi, par exemple, près de cinquante variétés de pêches et de nectarines sont cultivées sur une exploitation pour assurer la production des « quatre couleurs », c’est-à-dire des pêches blanches et jaunes et des nectarines blanches et jaunes de début juin à début septembre. La grande technicité de cette culture est également liée au caractère fragile des fruits frais et à la grande variabilité des conditions et résultats de la production. Plus que les autres cultures, la production fruitière est en effet sujette aux aléas climatiques (gel, grêle, pluies pour les cerises), au phénomène d’alternance56 qui influe les volumes de production annuels, aux maladies fongiques et autres ravageurs. Ainsi les volumes et les qualités des récoltes varient non seulement d’une année à l’autre, mais également de jour en jour au cours de la période de récolte. La fragilité des fruits induit une demande élevée en intrants, surtout en produits phytosanitaires, et nécessite l’irrigation. Les techniques de production en « production fruitière intégrée57 » (PFI) et lutte biologique, bien développées en Moyenne Vallée du Rhône, ainsi que les référentiels nationaux de production raisonnée contribuent aujourd’hui à améliorer le bilan environnemental de cette production. Enfin, on l’a vu, la production est constituée par une large gamme de fruits frais dominée par les fruits d’été (pêches-nectarines, abricots, cerises). Ces espèces sont très périssables et ne peuvent guerre être stockées après leur récolte : quelques jours seulement pour les cerises, jusqu’à trois semaines en frigo pour les abricots. Le marché ne pouvant être régulé par le stockage, son fonctionnement est particulièrement spéculatif. Ainsi la fonction de première mise en marché revêt une importance stratégique.

Photo 1: Chaîne de calibrage de pommes dans une station d'expédition

Cliché C. Praly, 2006.

L’opération de première mise en marché, également appelée « expédition » par les professionnels, consiste en faire passer les fruits qui viennent d’être récoltés en vrac, appelés stade « brut de cueille » ou « bord de champ », à un stade commercialisable, répondant aux normes de mise en marché européennes. L’opérateur qui assure cette fonction est appelé « expéditeur » ou « premier metteur en marché ». L’infrastructure qui l’abrite est appelée une station d’expédition. La fonction d’expédition couvre donc deux étapes qui sont liées entre elles : le travail dit « en station » et le travail de commercialisation. Le travail en station implique de nombreuses opérations et manipulations qui doivent être réalisées avec beaucoup de soin pour ne pas altérer la qualité des produits. Avant l’expédition proprement dite, les fruits passent en effet par plusieurs étapes (toutes ne sont pas assurées par tous les expéditeurs). Ils sont d’abord réceptionnés et passés à l’agréage58, puis triés, nettoyés et calibrés59 sur des chaînes plus ou moins automatisées (Photo 1). Suite à ce premier travail, les fruits peuvent être stockés en chambres froides avant d’être conditionnés, préemballés et étiquetés par catégories homogènes. En fonction des commandes, il y a alors allotissement60 puis transport et gestion logistique jusqu’à la livraison chez le client. C’est donc seulement après ce travail effectué en station d’expédition que les fruits sont commercialisables. Or, les étapes d’agréage, de conditionnement et d’allotissement dépendent des demandes des clients. Il y a donc également une importante fonction de commercialisation pour réussir la première mise en marché dont l’enjeu stratégique est d’assurer la mise en adéquation de la qualité des lots constitués et de la demande des principaux marchés. L’expéditeur assure donc une double relation commerciale, à la fois avec la production et avec ses clients de l’aval, qui est construite dans le temps et ajustée au jour le jour pendant la saison de production. La première mise en marché est donc l’assemblage de volumes de fruits bruts, leur calibrage et leur vente en lots homogènes aux opérateurs de l’aval.

Elle est assurée par trois grands types d’expéditeurs (Figure 6). Leur fonction est strictement la même, seuls leurs statuts et donc leurs régimes juridiques ainsi que leurs relations avec les producteurs changent.

Figure 6: Zoom sur les opérateurs de la production et de la première mise en marché
Figure 6: Zoom sur les opérateurs de la production et de la première mise en marché

Les premiers sont les producteurs-expéditeurs, qui possèdent leur propre station de conditionnement et d’expédition et qui assurent eux-mêmes la commercialisation. Certains ne mettent en marché que leur production, d’autres achètent et revendent également la production d’autres producteurs. Les seconds sont les sociétés d’expédition privées. Ces entreprises achètent la production des arboriculteurs locaux, la conditionnent et la commercialisent. Les troisièmes sont les structures collectives de producteurs, de statut coopératif ou Groupement d’Intérêt Economique (GIE). Les transactions entre production et première mise en marché varient selon le type d’expéditeur. Dans le cas des coopératives, les producteurs sont coopérateurs : ils sont propriétaires du capital et sont obligés de livrer la totalité de leur production à la coopérative. En retour, la coopérative se doit d’accepter et d’assurer la commercialisation de la totalité des fruits apportés, c’est la « règle d’apport total ». En revanche, les liens sont beaucoup plus variés et informels entre les producteurs et les expéditeurs privés et producteurs-expéditeurs. Les accords sont oraux, fondés sur la confiance, ou conventionnés. Certains producteurs apportent la totalité de leur production à un seul expéditeur, d’autres ont plusieurs débouchés. La plus grande partie des transactions se fait par livraison directe du producteur à la station de l’expéditeur. Une petite part de celles-ci demeure négociée de gré à gré sur les marchés de production61 de Pont-de-l’Isère, de Chanas ou sur le M.I.N.62 de Lyon.

Nous ne disposons pas de source recensant la totalité des producteurs-expéditeurs de la Moyenne Vallée du Rhône, mais nos recherches63 indiquent qu’il y en a plusieurs dizaines. En revanche, nous avons pu identifier et localiser la quasi-totalité des expéditeurs privés et la totalité des coopératives et GIE (Tableau 7). Deux constats méritent d’être soulignés.

Le premier constat révèle la différence de structures entre les expéditeurs privés et les coopératives. Les premiers sont majoritairement des petites entreprises familiales, qui traitent des volumes annuels nettement inférieurs à ceux des coopératives. Celles-ci présentent au contraire des dimensions économiques plus importantes. Ainsi, si les coopératives sont deux fois moins nombreuses que les expéditeurs privés dans la Moyenne Vallée du Rhône, elles traitent en revanche plus de volume (environ 116 000 t.) que l’ensemble des expéditeurs privés de toute la région Rhône-Alpes (environ 69 000 t. pour 200264). Le reste est commercialisé par les producteurs-expéditeurs.

Tableau 7: Les expéditeurs privés et les coopératives de la Moyenne Vallée du Rhône en 2006
Type d’expéditeur Opérateurs identifiés et localisation Nb apporteurs Volume /CA
Expéditeur privé LhormeGiraud FruitsMetral FruitsComptoir RhodanienSavajols SADesbos SARLCaramanfruitBornand Frères SAVergers du Val’DouxFélix Georges SAFelix René et FilsRomain FruitsRuegg RenéAgrobiodrôm Anneyron Bellegarde-PoussieuChanasTain-l’HermitageAndanceSaint-Jean-de-MuzolsBougé-ChambaludEpinouzeLamastreTain-l’HermitageTain-l’HermitageSt-Marcel-les-ValenceValenceLoriol-sur-Drôme 100 (+ 50)*13050 (+400)* 5 000 t – 4 000 K€12 000 t5 000 t
Total 14      
Coopérative -GIE ChanabelRhodacoopHermitage-Basse-IsèreFruitCoopDrôme FruitValsoleilLorifruitCoopeyrieux ChanasSaint-Rambert-d’AlbonTain-l’HermitageSaint-PerayLivron-sur-DrômeSt-Donat-sur-l’HerbasseLoriol-sur-DrômeBeauchastel 251122801213096120 29 300t – 14 400K€12 000t – 7 600K€22 000t – 10 400K€20 000t – 4 300K€7 000t – 9 500K€6 000T – 3 900K€ 13 500t – 13 300K€6 000t – 7 300K€
total 8     115 800t – 70 700 K€

* nombre d’apporteurs principaux (nombre de petits apporteurs secondaires)
Sources : enquêtes personnelles, enquêtes PSDR (chiffres 2006).

Le second constat concerne la géographie de ces opérateurs. On note une nette concentration des stations d’expédition dans la vallée du Rhône (Carte 5). Ayant été construites spécifiquement pour l’expédition elles ont été implantées au plus près des infrastructures de transport65. La double localisation, à la fois au cœur du verger de production et à proximité des grands axes de transports permet à ces opérateurs de la première mise en marché d’expédier les fruits frais vers les opérateurs de l’aval, grossistes et centrales d’achats, situés au-delà de la Moyenne Vallée du Rhône.

Carte 5: Carte des opérateurs de l'expédition de la Moyenne Vallée du Rhône en 2006

Notes
56.

Tendance qu’ont certaines espèces fruitières à ne produire des fruits qu’une année sur deux, ou du moins à produire beaucoup une année, et très faiblement l’année suivante. Phénomène très prononcé pour les pommiers par exemple.

57.

La production fruitière intégrée (PFI) constitue un système de production mettant en œuvre un ensemble de techniques culturales satisfaisant à la fois les exigences écologiques, économiques et toxicologiques, en vue d'obtenir une récolte d'une qualité optimale (source : définition OILB/SROP, 1980).

58.

Opération qui consiste à pratiquer sur un lot de fruits des constats, des contrôles et des analyses pour en faire le rapport (par exemple évaluation de l’aspect, du calibre, du taux de sucre, etc.) et donner à ce lot une destination, conformément aux réglementations, usages et cahiers des charges en vigueur.

59.

Opération de tri des fruits selon leur diamètre, qui permet de les classer en catégories (Extra, I et II).

60.

Regroupement de petits lots en un lot homogène important.

61.

Localisés en région de production, les marchés de production visent à rassembler tout ou partie des produits de la région en vue de leur trouver un débouché. Ils peuvent être spécialisés sur une ou deux espèces ou multiproduits (fruits et légumes), actifs toute l’année ou saisonniers. Certains peuvent être classés M.I.N.

62.

Marché d’Intérêt National. Situé dans une région de production, le M.I.N. de Lyon est un marché mixte, c’est-à-dire qu’il est la fois un marché de production et un marché de consommation. En effet, les producteurs peuvent prendre place sur le « carreau des producteurs » et y vendre directement leur production aux côtés des grossistes et des importateurs.

63.

Enquêtes personnelles, rapport scientifique du programme PSDR, liste référencée dans les pages jaunes. Pour exemple, dans la catégorie « fruits et légumes, commerce de gros » des pages jaunes, nous obtenons au total 93 réponses pour le département de la Drôme, 45 pour l’Isère et 41 pour l’Ardèche. Malgré les doublons présents dans les pages jaunes et le fait que cette catégorie rassemble les expéditeurs et les grossistes, ces chiffres indiquent l’importance de cette fonction dans les trois départements.

64.

Information communiquée par le président de l’UEEFEL-RA (Union des Expéditeur Exportateurs de Fruits et Légumes de Rhône-Alpes), entretien personnel, 2006.

65.

Les stations d’expédition des producteurs-expéditeurs sont, quant à elles, également présentes sur les marges du bassin, ayant été construites sur les exploitations.