c) Volonté professionnelle locale d’agir à l’échelle de la Moyenne Vallée du Rhône

Deux organisations du système d’encadrement ont explicitement délimité une aire d’action correspondant au bassin de production de la Moyenne Vallée du Rhône. D’une part, les services relatifs à l’arboriculture des Chambres d’agriculture de la Drôme, de l’Ardèche et de l’Isère se sont fédérés dans l’association Fruit Plus en 200279. Elle a pour objectif de rassembler tous les arboriculteurs du bassin, qu’ils soient organisés ou non. Elle a deux missions principales. La première est de gérer les labels rouges pêches-nectarines et abricots bergeron existants. La seconde, plus récente, est d’assurer une animation au niveau de la production, dont la réalisation d’un inventaire des vergers sur l’ensemble du bassin. Le texte introductif du rapport d’activité 2005 de Fruit Plus est particulièrement explicite quant au projet de structuration institutionnelle autour de la géographie du bassin : « Les responsables professionnels du département de la Drôme se sont donné comme orientation politique la mise en œuvre de l’organisation et la structuration de la filière fruits du bassin autour de Fruit Plus avec pour objectifs principaux de remobiliser les producteurs autour de projets collectifs, d’intervenir à une échelle géographique cohérente, de mutualiser les moyens et compétences et d’homogénéiser les interventions. »

D’autre part, le Comité Stratégique Fruits Rhône-Alpes80 (CSF-RA) identifie également la Moyenne Vallée du Rhône comme un bassin fruitier ayant des caractéristiques structurelles et donc des enjeux différents des autres bassins fruitiers de la région. Il a en effet identifié trois bassins de production sur l’ensemble de la Région, compris dans le sens où un bassin réunit sur un espace des acteurs arboricoles susceptibles de mener un projet commun. Le premier bassin fruitier couvre les Coteaux et Monts du Lyonnais, au sens large, donc la Loire et le Rhône. La production y est qualifiée de multi-production d’altitude, les circuits de commercialisation combinent vente en gros et circuits locaux, bénéficiant de l’urbanisation lyonnaise (beaucoup de vente directe). Le second bassin fruitier concerne les Savoies et la zone spécifique du Pilat. La production y est spécialisée dans les fruits à pépins d’altitude, pommes et poires, avec des démarches d’identification territoriale (IGP pommes et poires de Savoie, marque pomme du Pilat) déjà établies et bénéficiant de la réputation régionale de ces territoires. La Moyenne Vallée du Rhône constitue le dernier bassin fruitier et le plus important de Rhône-Alpes. Le CSF-RA a du mal à établir une ligne stratégique pour ce bassin sans identité propre, à la production standard et si diversifiée. Les perspectives proposées se déclinent en fonction des espèces : pour les petits fruits, faire stratégie commune avec les Monts du Lyonnais ; pour les productions standards (fruits à noyaux, pommes, poires), améliorer la compétitivité. L’idée de compétitivité est déclinée à deux niveaux. A la production, par le renouvellement du verger par des variétés nouvelles, en modernisant les techniques et optimisant les frais de main d’œuvre, en accompagnant la cessation des exploitations les moins « compétitives ». Et au niveau de la commercialisation, en concentrant l’offre régionale, et même interrégionale, ainsi qu’en rationalisant l’outil de production. Le contenu de ce projet rédigé en 2003 révèle le modèle productif suivi par les OPA d’encadrement : celui de la compétitivité par la productivité.

La structuration géographique de ces deux organisations professionnelles spécialistes de la filière fruits entérine la réalité organisationnelle du bassin de production de la Moyenne Vallée du Rhône. C’est donc à ce périmètre que nous arrêterons notre terrain d’étude, sans pour autant oublier ses liens avec l’extérieur. En effet, la Moyenne Vallée du Rhône n’est pas isolée des vergers plus méridionaux des Baronnies et de la plaine de Montélimar dans la Drôme, ni du bassin de Nîmes (Crau) dans le Gard et les Bouches-du-Rhône. Nous les avons pourtant exclus de l’entité « Moyenne Vallée du Rhône », et par conséquent de notre terrain d’étude. En effet, les domaines du Sud ont des structures et des logiques différentes des exploitations de la Moyenne Vallée du Rhône : les exploitations sont de plus grande taille, plus spécialisées en arboriculture et essentiellement en pêches et abricots, plus « indépendantes », ayant leurs propres stations d’expédition et donc des logiques de marques prononcées. Les exploitations fruitières de la plaine de Montélimar ressemblent ainsi plus à celles de la région PACA qu’à celles de la Moyenne Vallée du Rhône81, malgré la limite administrative. De la même manière, les expéditeurs privés du sud de la Drôme et de l’Ardèche sont tournés vers la filière méridionale82. Le cas des Baronnies est différent. Si les exploitations restent de taille moyenne dans un milieu difficile à exploiter, elles se distinguent de la Moyenne Vallée du Rhône par leur spécialisation dans la production d’une espèce, l’abricot (et même d’une variété, l’Orangé de Provence), et par leur localisation dans un territoire à identité porteuse et structuré institutionnellement (Rieutort, 2000).

Notes
79.

Fruit Plus constitue l’évolution d’une association préexistante, mais ne concernant que la Drôme : l’ « Association de Promotion des fruits et légumes sous label de la Drôme et des cantons limitrophes ». Cette association gérait le label rouge pêche déposé à la fin des années 1990. Pour plus de détail concernant ce label, voir le chapitre 3.

80.

Instance interprofessionnelle (rassemblant un collège de représentants de la production, des metteurs en marché et des transformateurs) créée en 2002 suite à la mise en place d’un « contrat d’objectif fruits » dans le cadre d’un Plan Etat-Région.

81.

Cette analyse est issue de la bibliographie et essentiellement des dires d’acteurs enquêtés, dont deux « experts » de la filière du Sud-Est : une animatrice d’OPA, un ingénieur du CTIFL basé à la SEFRA d’Etoile-sur-Rhône.

82.

D’après le président de l’UEEFEL-RA, les expéditeurs privés du sud de la Drôme et de l’Ardèche travaillent essentiellement avec les producteurs et les institutions de PACA. Ils n’adhèrent d’ailleurs pas à l’UEEFEL de Rhône-Alpes. Source : entretien personnel, 2006.