4. Des liens arboriculture-territoires géographiquement différenciés

Les diverses formes de liens arboriculture-territoires laissent ainsi apparaître des ancrages territoriaux différents selon les sous-espaces du bassin de production. Ces liens géographiquement différenciés sont de deux natures, socio-économiques et physiques.

Pour ce qui concerne les liens socio-économiques, l’arboriculture peut être considérée comme une activité structurante, principalement sur la partie nord du bassin de production. La production fruitière pèse dans la vie économique et sociale locale, pour deux raisons principales. D’abord, elle participe de l’équilibre des exploitations agricoles du bassin. Celui-ci est construit sur des systèmes de production diversifiés qui articulent production fruitière et autres productions agricoles locales adaptées aux particularités agronomiques et à l’histoire du sous espace concerné. De fait, près d’une exploitation sur deux présente une production autre que l’arboriculture. En revanche, si les systèmes de production sont diversifiés, ils restent dans le domaine agricole. Très peu d’arboriculteurs exercent une activité autre qu’agricole (Tableau 8) : seules 1,9 % des exploitations fruitières présentent une activité touristique et 12 % une autre activité secondaire.

Tableau 8: Activités pratiquées par les exploitations fruitières de la Moyenne Vallée du Rhône
Activités associées à la production fruitière Nombre d’exploitations Pourcentage
Vente directe 643 20,2% des exploitations fruitières
Activité secondaire 382 12% des exploitations fruitières
Transformation 205 6,4% des exploitations fruitières
Activité touristique 62 1,9% des exploitations fruitières

Sources : RGA 2000 par canton. Réalisation C. Praly

Ensuite, la production fruitière participe de l’équilibre économique et social de la Moyenne Vallée du Rhône. Cela passe d’abord par l’emploi agricole, et ensuite par l’insertion des ménages dans la vie locale. L’arboriculture fruitière nécessite énormément de main d’œuvre dont la moitié est salariée. Si l’origine des personnes salariées est majoritairement locale, quelques nuances sont observées selon les sous espaces. Dans le Nord-Drôme et le Sud-Drôme, les exploitations embauchent surtout des personnes vivant dans les villes environnantes, Saint-Vallier, Valence, Romans-sur-Isère. Pour les travaux au verger, ce sont souvent des personnes issues de l’immigration ou étrangères (Marocains, Tunisiens) et résidant en France ainsi que quelques étudiants. Certains Marocains et Tunisiens viennent spécialement dans la vallée pour travailler durant la saison, ayant de la famille ici ou logés par les producteurs. Néanmoins, les cas de logement sur place ne sont pas majoritaires. Ils concernent certaines exploitations, soit les plus grandes qui ont un grand besoin de main d’œuvre, soit celles trop éloignées des centres urbains. Pour les travaux en station d’expédition, les salariés sont majoritairement des personnes d’origine étrangère, des étudiants et des jeunes d’origine locale. Dans le Nord-Ardèche, où les besoins de main d’œuvre par exploitation sont moins importants, les employés sont généralement des locaux, étudiants ou personnes en recherche d’emploi.

En second lieu, en ce qui concerne les liens physiques entre l’arboriculture et les territoires, l’analyse de l’insertion des vergers dans le paysage dessine presque un effet terroir. De fait, observer la manière dont les vergers sont répartis dans l’espace, l’allure des parcelles, la répartition des espèces, révèle les terroirs pédoclimatiques ou les spécificités culturales locales. L’impression générale émanant de la Moyenne Vallée du Rhône est celle d’une arboriculture diverse (des parcelles récentes côtoient des vergers anciens), diversifiée (toutes les espèces sont présentes partout, même si certaines zones sont plus spécialisées), ancrée dans l’histoire (parcelles et infrastructures traditionnelles) et dans les savoir-faire locaux (énormément de jardins privés comptent des arbres fruitiers très bien entretenus). En plus des différences visibles entre les quatre sous espaces, un important clivage s’exprime entre les vergers situés le long de la vallée du Rhône (zone plus concentrée et intensive) et ceux plus dispersés à l’intérieur des terres. Le long du fleuve, les vergers sont concentrés sur les terrains alluvionnaires plats, où ils apparaissent récents et modernisés : plantations haute densité et palissage en témoignent. Dans l’intérieur des terres, plus préservées de la pression foncière, les traces des implantations traditionnelles sont plus courantes.

Finalement, l’analyse spatialisée de l’arboriculture, des structures d’exploitation et de leurs interrelations avec les territoires montre qu’il existe des ancrages territoriaux variables selon les sous-espaces de la Moyenne Vallée du Rhône. Le Nord Drôme et le Nord Ardèche sont les sous espaces où l’ancrage de l’arboriculture est le plus fort, à la fois économique, social et historique. Dans le Sud-Drôme, l’ancrage passe essentiellement par le tissu économique lié à l’activité fruitière. Enfin, il tend à se déliter dans la vallée de l’Eyrieux, où l’ancrage se réduit à l’histoire et au patrimoine.

A ce niveau de l’analyse, l’espace de la Moyenne Vallée du Rhône apparaît donc comme une mosaïque d’espaces pédo-climatiques sur laquelle se superposent des territoires administratifs polarisés par le même centre dynamique et attractif, l’axe rhodanien. Si l’arboriculture est présente sur l’ensemble de l’espace étudié, elle s’insère dans cette mosaïque en dessinant des espaces arboricoles différenciés. Voyons à présent quels sont les liens entre ces espaces arboricoles et l’organisation de la filière locale.