b) L’exigence des marchés d’expédition : homogénéité, volumes, durée, gamme, normes… et prix

Ces marchés d’expédition, appelés aussi marchés de gros98, ont des besoins spécifiques. Il s’agit tout d’abord d’être capable de fournir des volumes conséquents de différents lots de fruits - déclinés en espèces, variétés et catégories - sur une durée la plus longue possible dans la saison. Un client préfère en effet avoir un seul fournisseur qui lui livre régulièrement pendant l’été des lots de pêches, d’abricots, de cerises, de poires, etc., de catégorie correspondant au segment de marché visé. Ainsi, un opérateur de première mise en marché doit s’assurer un approvisionnement suffisamment varié, important en volumes et étalé sur la saison pour pouvoir, après l’avoir calibré et trié, en tirer des lots de catégories normalisées de tailles suffisantes pour intéresser les marchés de gros. Et ces lots, qui sont expédiés jusque dans le nord de l’Europe et les pays de l’Est, doivent « tenir », c’est-à-dire que les fruits doivent rester d’une belle qualité pendant encore plusieurs jours après leur réception et leur mise en étalage. Le risque qu’ils s’abîment s’ils sont trop mûrs, ou qu’ils pourrissent s’ils sont blessés (traces de grêle, de choc, cerises qui éclatent après la pluie), est généralement reporté sur le metteur en marché, à qui la marchandise est retournée si elle est jugée non conforme à la réception. Les professionnels évoquent souvent à ce sujet l’impératif d’éviter « la casse » ou « les retours ».

Ces marchés sont ensuite de plus en plus exigeants en termes de certification. Non seulement les fruits doivent être triés, conditionnés et étiquetés selon les catégories de la normalisation européenne, mais en outre, depuis le 1er janvier 2005, la traçabilité des fruits doit être assurée99 (Husson, 2005). Chaque station d’expédition doit enregistrer les lots livrés par les producteurs, et les identifier ensuite tout au long du processus de calibrage, de conditionnement et d’expédition. La démarche HACCP est également devenue obligatoire en 2006 dans toutes les entreprises alimentaires100. Il s’agit d’un système de prévention des risques afin de garantir la sécurité des aliments.

Outre ces contraintes réglementaires imposées par l’OCM fruits et l’Union Européenne, les clients exigent de plus en plus le respect de leurs propres cahiers des charges ou de certifications internationales pour acheter les fruits ou référencer un fournisseur. Ainsi, une enquête menée par le CTIFL en 2007 montre que les expéditeurs nationaux cumulent les certifications pour s’assurer leurs différents débouchés : 41% d’entre eux gèrent de 5 à 6 démarches, et 21% en gèrent plus de 6 (Glemot et Gros, 2007). Pour citer les principales démarches qui concernent les stations fruitières de la Moyenne Vallée du Rhône, nous évoquerons101 d’abord les enseignes de la grande distribution qui ont mis en place des cahiers des charges pour les producteurs. Par ce biais, elles imposent des pratiques respectueuses de l’environnement et/ou des critères de qualité des fruits (calibre, taux de sucre). C’est le cas de la Filière Qualité Carrefour (FQC) devenue en 2008 Engagement Qualité Carrefour (EQC). Citons ensuite le référentiel EurepGap, devenu en 2007 GlobalGap, mis en place par l’ « Euro-Retailer Produce Working Group ». Cette organisation de distributeurs européens impose dans ce référentiel des pratiques de production respectueuses de l’environnement et la traçabilité. Il est aujourd’hui très largement demandé par les distributeurs européens. En 2006 dans la filière française, 78% des opérateurs d'expédition ont mis en place EurepGap chez au moins un producteur, et 19% prévoient de travailler sur la certification dans les douze mois à venir. Au total, c'est en moyenne 30% des producteurs regroupés autour d'un opérateur d’expédition qui devaient être certifiés fin 2007 (Glemot et Gros, 2007).

Tableau 9: Types et localisation des clients des expéditeurs de la Moyenne Vallée du Rhône (2002-2006)
Metteur en marché Répartition clientèle (en % du chiffre d’affaires) Localisation des clients
Coopératives Rhodacoop 35% GMS40% export20% Grossistes5% Vente directe magasin FranceLocale
Hermitage-Basse-Isère 35% GMS30% export15% industrie20% Grossistes FranceAllemagne, Angleterre, Italie
Drôme Fruit 80% GMS10% Grossistes10% Export France et EuropeFrance
Valsoleil ExportGMS Italie, AllemagneFrance
Lorifruit 80% GMS10% Grossistes10% Export France et EuropeFrance
Coopeyrieux 70% GMS20% Grossistes10% industrie France et étranger
Expéditeurs privés Lhorme 50% export 40% grossistes10% GMS Allemagne, R.-U., Espagne, ItalieParis, Roanne, Lille, Canne, NiceFrance
Giraud Fruits   3-4% en Rhône-Alpes
Metral Fruits 70% GMS20% grossistes haut gamme10% export3% transformation Région Rhône-Alpes Région Rhône-AlpesAngleterre, Allemagne, Suisse, Belgique…Locale
Savajols 30% export30-35% Grossistes 30% centrales d’achats  Suisse, Allemagne, Angleterre, Italie,…« surtout pas Lyon ! »France
OP libres OP ValRhoFruits(conventionnée avec Comptoir Rhodanien) GMSGrossistesExport France
OP Dollon- Valloire(conventionnée avec Lhorme et Bornand) GMSGrossistes France
OP GDV (groupement Dauphiné Vivarais) 60% GMS40% Grossiste « presque rien dans la Région »
OP Fruval 40% GMS40% export  
OP GAMOVAR 60% Grossistes40% GMS  

Sources : enquêtes PSDR (Jean Puypalat 2002 et Carole Chazoule 2004), enquêtes personnelles 2006.

Normes et certifications de qualité sont devenues des conditions d’accès au marché, mais ne permettent pas d’obtenir une revalorisation des prix de vente102 (Glemot et Gros, 2007). Au mieux, ils assurent l’écoulement des volumes de production, ce qui est déjà bien dans les années de saturation du marché103. Le prix bas pour une production exigeante en travail est devenu la norme.

Notes
98.

Ce sont les deux dénominations que nous utiliserons pour la description et l’analyse des résultats dans la suite de l’exposé.

99.

Règlement européen 178/2002.

100.

Règlement européen n°852/2004. Le système d'analyse des dangers - points critiques pour leur maîtrise, appelé système HACCP(Hazard Analysis Critical Control Point), est une méthode de maîtrise de la sécurité sanitaire des denrées alimentaires. Son objectif est la prévention, l'élimination ou la réduction à un niveau acceptable de tout danger biologique , chimique et physique . Pour ce faire, la démarche consiste en une analyse des dangers existant au cours du processus de production, permettant l’identification de points critiques lors desquels il est possible de les maîtriser.

101.

Les autres démarches liées au mode de production sont : le référentiel Agri-Confiance ; Tesco Nature’s Choice ; la charte PFI ; le réfentiel Qualification agriculture raisonnée ; QS). Les démarches liées à l’organisation et à l’hygiène sont : les référentiels ISO 9000, 14000 et 22000 ; la certification Qualipom’fel ; la norme BRC ; l’IFS. Pour plus d’information, voir l’Infos-Ctifl n°235, octobre 2007.

102.

Malgré les exigences croissantes de l’aval de la filière, la pression concurrentielle maintient le nivellement par le bas des prix des fruits à la première mise en marché.

103.

Propos confirmés par les directeurs des coopératives interviewés en 2006.