b) Trois manières de traiter la diversité par les opérateurs d’expédition

Le travail mené dans le programme PSDR II montre que chaque OP développe une stratégie propre pour gérer et valoriser au mieux cette diversité de production. Parmi celles-ci, trois modèles idéaux-types de mise en marché et de gestion de la diversité de la production sont décrits au sein des OP de la Moyenne Vallée du Rhône (Pluvinage et al., 2005).

Stratégies visant un approvisionnement homogène : modèle de la délégation

Dans les OP relevant du modèle de la délégation, les producteurs délèguent entièrement la commercialisation à la structure collective, comme dans les OP coopératives. La variabilité de la qualité des fruits n’est pas recherchée au niveau de l’OP, au contraire. Le principe organisateur consiste à externaliser la gestion de la variabilité de la qualité auprès des producteurs, par exemple en les laissant vendre eux-mêmes les fruits de petits calibres ou trop mûrs. De ce fait, l’OP vise à obtenir un seul type de qualité des fruits : une « bonne » qualité standard (souvent appelée « standard plus » par les professionnels) définie par les normes des GMS et de l’export. Ce choix stratégique conduit l’OP à avoir des exigences importantes envers les producteurs. L’arboriculteur doit en effet fournir une offre dont la variabilité est réduite en fonction des critères retenus par l’OP. Pour ce faire, l’OP intervient le plus en amont possible sur leurs pratiques de production pour pouvoir « organiser l’offre en cours de culture » (Pluvinage et al., 2005, p.10). Il s’agit d’anticiper l’élaboration de la qualité par des préconisations techniques en cours de culture élaborées au niveau de l’OP en coordination entre le technicien, le directeur et le service commercial. Ces préconisations portent sur le choix des variétés implantées lors du renouvellement des parcelles et sur la conduite annuelle du verger. Ainsi un cahier des charges à la production est défini au niveau de l’OP, intégrant les exigences des marchés d’expédition des GMS et de l’export. Une telle stratégie permet de traiter des volumes importants tout en planifiant relativement les opérations qu’il est nécessaire de réaliser en fonction des marchés prévisibles.

Le modèle de la délégation concerne principalement les OP coopératives et certains expéditeurs privés pour qui les GMS constituent un débouché important. Ce sont les entreprises susceptibles de commercialiser des volumes de fruits importants.

Stratégies valorisant la diversité de l’approvisionnement : modèle de la fédération

Pour les OP relevant du modèle de la fédération, l’initiative des transactions commerciales est laissée aux producteurs, mais s’exerce dans le cadre d’une convention négociée avec un nombre restreint de négociants, comme dans les OP libres. Le principe organisateur est de coordonner les actions individuelles, de les mettre en cohérence pour être capable, à l’échelle du collectif, de valoriser au mieux la diversité. Dans ce modèle, la diversité doit être accompagnée le plus loin possible dans le circuit marchand afin de la traiter comme un atout, ou du moins comme une réalité productive qui ne doit pas être écrasée. En pratique, cela signifie qu’à l’échelle de l’OP les metteurs en marché développent des relations commerciales suivies avec différents types de débouchés (marchés de proximité, grossistes, GMS, export), aptes à valoriser les différentes qualités de la production. Ces relations commerciales sont davantage construites sur la confiance réciproque quant à la satisfaction de la demande que sur des normes privées. Elles permettent ainsi non seulement de valoriser la diversité de la production, mais également de satisfaire la variabilité de la demande qui dépend de l’état du marché ou des températures estivales105. Les OP relevant de ce modèle n’interviennent que peu sur la production. Le « tri à la récolte » (Pluvinage et al., 2005, p.10) opéré sur les critères commerciaux classiques (calibre, aspect, éventuellement taux de sucre ou fermeté) est leur principal mode de qualification. De là, les fruits seront orientés vers tel ou tel débouché, les mieux adaptés à leur qualité.

Le modèle de la fédération concerne principalement les OP libres106, les expéditeurs privés ainsi que les producteurs-expéditeurs indépendants qui organisent leur production et la gestion de leur clientèle en interaction étroite.

Modèle « clubs » avec sélection des producteurs

Le modèle « club de producteurs » est décrit comme un modèle émergent, au croisement des deux modèles précédents. Il consiste à sélectionner les producteurs entrant dans l’OP sur des critères de maîtrise technique et de structure de production. Il repose sur un nombre restreint de producteurs (environ une dizaine) qui disposent de surfaces de vergers importantes (plus de 30 ha par exploitation). Comme dans le modèle de la fédération, le principe organisateur est l’indépendance commerciale des producteurs fédérés dans la volonté commune de valoriser la diversité, mais sur une palette restreinte aux segments du marché haut de gamme. L’objectif est donc de ne pas avoir à gérer des lots de seconde catégorie. Pour ce faire, on retrouve comme dans le modèle de la délégation la volonté d’anticiper et de piloter la qualité en amont, au champ, mais à partir de choix collectifs et non imposés par l’OP.

Le modèle « club de producteurs » concerne quelques OP libres et producteurs-expéditeurs indépendants qui sélectionnent quelques autres producteurs pour compléter leur production. Cette sélection est faite sur la base de critères agronomiques (localisation des exploitations, caractéristiques du climat et des terrains, composition variétale du verger) et sur la stratégie de production du producteur, qui doit être en adéquation. Ce modèle nécessite une capacité des producteurs à se coordonner à moindre coût et de manière souvent informelle avec d’autres producteurs qui partagent leurs objectifs et leur manière de produire.

Certes, la vision présentée ici sous forme de modèle reste schématique. Mais si la plupart des OP emprunte en réalité des traits à chacun des trois idéaux-types, les tendances observées dans les deux grands types d’OP (coopérative et libre) demeurent expliquées par ces modèles. En particulier, celui de la délégation permet de comprendre l’organisation commerciale qui émane des coopératives.

Notes
105.

La consommation de fruits d’été augmente lorsque les températures augmentent.

106.

Ce modèle fédère particulièrement les producteurs qui souhaitent « garder la main » sur les opérations commerciales.