a) Le « pôle rambertois » ou l’art de l’arboriculture sèche diversifiée

Le pôle rambertois émerge le premier entre 1840 et 1900, puis s’étend entre 1900 et 1939, développant l’art de l’arboriculture sèche diversifiée sur toute la moitié nord de la Moyenne Vallée du Rhône.

La première espèce est la cerise (Desmoulins, 1925), plantée dans la décennie 1840 à Saint-Rambert-d’Albon par André Revouy. L’idée lui serait venue de connaissances qu’il avait dans le verger de Vienne (38). L’anecdote rapportée par A. Desmoulins raconte que son initiative fut d’abord moquée, on lui donna le sobriquet de « baron de la cerisette ». Puis, devant le succès commercial, il fut rapidement imité. Avant la construction de la voie ferrée entre Lyon et Valence, en 1855, les cerises étaient vendues à Lyon, transportées par bateaux embarquées sur le quai de Serrières (07). Elles étaient également acheminées jusqu’à Saint-Etienne par voitures hippomobiles par la compagnie des « rouliers » de Saint-Rambert.

Hormis les espèces locales de pêches de vigne tardives, les premiers pêchers à vocation commerciale ont été plantés dans les communes de Saint-Rambert et de Saint-Désirat (07), autour de 1880. Très tôt Saint-Rambert et sa gare ont été un lieu de commercialisation et d’expédition. En juillet 1881 partirent les premières expéditions pour le marché des Halles de Paris109, mais la majeure partie de la production était encore destinée à Lyon et Saint-Etienne. Devant l’accroissement de la production locale de pêches le conseil municipal de Saint-Rambert créa le premier marché aux fruits de la Moyenne Vallée du Rhône en 1900, plus de trente ans après ceux du Comtat110. Les fruits étaient alors vendus aux marchands sur le marché puis expédiés depuis la gare.

L’arboriculture pratiquée alors est une culture sans irrigation, associée aux vignes, sur les coteaux et les terrains caillouteux peu favorables aux céréales (Photo 12). Dans sa thèse, le géographe Jacques Béthemont parle de « modèle rambertois », en opposition à la culture irriguée de l’Eyrieux (Bethemont, 1972). Ce modèle rambertois a une influence forte sur toute l’agriculture du Nord de Valence : on y plante des vergers dès 1910 à Châteauneuf-sur-Isère, à La-Roche-de-Glun, en imitant la culture développée à Saint-Rambert.

La période 1900-1939 correspond à l’expansion du modèle rambertois vers le sud de la Moyenne Vallée du Rhône. Ainsi, dès 1920 la synthèse sur l’agriculture drômoise de Amédée Desmoulins évoque le « centre fruitier de Saint-Rambert » comme premier pôle de production et de commercialisation de fruits de la Drôme et de l’Ardèche (Desmoulins, 1925). Il montre que la production est immédiatement diversifiée. En 1924, les communes situées autour de Saint-Rambert sont, pour la Drôme, les principales productrices de pêches, cerises, cassis, abricots, fraises, melons et poires (Tableau 10). Le cassis est une espèce exclusivement cultivée dans le pôle rambertois.

Photo 12: Abricotiers co-plantés avec une vigne

Cliché fourni par Alain Coustaury, Croze-Hermitage, daté d’environ 1964.

Photo 13: Abricotiers co-plantés avec des légumes (choux fourragers, cardons)
Photo 13: Abricotiers co-plantés avec des légumes (choux fourragers, cardons)

Cliché fourni par Alain Coustaury, Croze-Hermitage, daté d’environ 1964.

La pratique de l’arboriculture en association avec d’autres productions, développée au début du vingtième siècle, perdure jusque dans les années 1970.

Tableau 10: Espèces cultivées en 1924 dans le pôle fruitier rambertois
Espèce Communes de production (ordre d’importance) Marchés Variétés Volumes
Pêches Saint-Rambert
Andancette
Andance
Albon
Epinouze Anneyron
Paris
Lyon
Saint-Etienne
Genève
Angleterre
Belgique
Amsden
Précoce de Halle
Aribaud
Incomparable Guilloux
 
Cerises Saint-Rambert
Andancette
  Bigarreau de Mai
Bigarreau de Juin
Bigarreau Jaboulay
Reverchon
 
Cassis Anneyron
Albon
Saint-Rambert
Angleterre   40 t.
Abricots Entre Tain-l’Hermitage et Saint-Rambert Expédition dans mêmes ville que les pêches.
Fabriques de pulpe locales à Nyons, Tain-l’Hermitage
Suchet
Poman rosé
Blanchet
Poizat
Paviot
 
Fraises Saint-Rambert après 1918 Saint-Etienne
Lyon
Genève
Grenoble
Noble
Moutot
Sulpice
132 t.
Melons Saint-Rambert
Champagne (07)
Saint-Etienne
Lyon
  352 t.
Poires 158 ha plantés en 1929 à Saint-Sorlin et Moras-en-Valloire      

Source : A. Desmoulins, 1925

La commercialisation et l’expédition se structurent rapidement autour du marché et de la gare de Saint-Rambert. En 1924, le marché est le premier marché aux pêches de France avec 1 764t. de pêches vendues alors que, la même année, la production de pêches de toute la Drôme s’élève à 1200 t. Tous les expéditeurs du sud de la France y sont présents en saison, et il draine la production fruitière des communes voisines de la Drôme, de l’Ardèche (Saint-Désirat, Andance, Champagne et vallée de l’Eyrieux) et de l’Isère (Chanas, Sablons, Bougé-Chambalud). La gare de Saint-Rambert joue un rôle crucial dans l’expédition : les pêches sont expédiées pendant trois semaines, en juillet, remplissant sept à dix wagons par jour dont les destinations principales sont Lyon, Paris, l’Angleterre, la Belgique et la Suisse. En 1924, 1 564 t. de pêches ont été expédiées depuis la gare de Saint-Rambert, et 412 t. de cerises. Les besoins de conservation des fruits se font déjà sentir, et une première expérience de pré-réfrigération est menée en 1924 à Saint-Rambert par la compagnie P.L.M.111 et les Entrepôts Frigorifiques lyonnais.

Parallèlement au développement du pôle rambertois, un tout autre modèle arboricole émerge de manière aussi brutale et spectaculaire, celui de la vallée de l’Eyrieux.

Notes
109.

A la faveur du gel qui avait détruit la production de pêches de Montreuil qui approvisionnait alors le marché parisien.

110.

Les premiers marchés de production de fruits et légumes du Comtat sont ceux de Barbentane et de Châteaurenard, créés en 1867 (Durbiano, 1997, p. 57).

111.

Paris-Lyon-Marseille : compagnie de trains qui dessert l’axe Sud-Est constitué par ces trois villes.