a) L’expansion de l’activité de production-expédition fruitière

Dès les débuts, quelques liens commerciaux existent entre les deux pôles fruitiers : entre 1892 et 1900, la majorité des pêches de l’Eyrieux est commercialisée sur le marché aux fruits de Saint-Rambert (Desmoulins, 1925). Entre 1920 et les débuts de la Seconde Guerre mondiale, l’activité de production et de commercialisation du pôle rambertois s’étend sur toute la partie nord de la Moyenne Vallée du Rhône, au-delà de Valence. En 1925, il existe en effet des marchés aux fruits dans les communes de Beaussemblant, Albon, Anneyron, Erôme, Tain-l’Hermitage, Valence, Serrières, Saint-Désirat, Mauves, Tournon, Saint-Peray et Chanas (Carte 11). Celui de Champagne est créé en 1931. En parallèle, les arboriculteurs de l’Eyrieux quittent leur vallée trop étriquée122 et plantent des vergers sur les terrains alluvionnaires dans la vallée du Rhône, au niveau de Loriol, Livron et dans la plaine de Valence. La monoculture de pêche irriguée rencontre la production diversifiée en sec, et les savoirs se mélangent pour s’adapter à la diversité des agro-terroirs, et des marchés. Les grands travaux d’aménagement et d’irrigation de la vallée du Rhône contribuent au lent développement de l’irrigation, difficilement intégrée par les producteurs qui ne maîtrisent pas son usage. Les producteurs du pôle rambertois sont d’ailleurs les premiers à adapter les techniques déjà utilisées dans l’Eyrieux. Le premier puits creusé à Saint-Rambert date de 1938, mais la guerre éclate, et l’irrigation ne se développe vraiment qu’à partir de 1945 (Bethemont, 1972).

Carte 11: Communes de production fruitière et marchés dans la Moyenne Vallée du Rhône en 1930

Si Saint-Rambert et l’Eyrieux demeurent les centres principaux, de nouveaux centres de production-expédition s’autonomisent. La vallée de la Valloire en est un exemple. L’arboriculture y prend un essor tellement important, qu’Epinouze devient un second « centre fruitier » (Rufin, 1961). De fait, cette commune dispose d’une gare située sur la ligne Saint-Rambert-Rives (Grenoble) et très tôt une desserte est mise en place avec des délais garantis spécialement pour l’expédition des fruits. Cette gare stimule le développement d’un nouveau quartier du village d’Epinouze, puis la Coopérative des Producteurs de Fruits et Légumes d’Epinouze s’y implante en 1947 avec raccordement direct à la voie ferrée. De même, Tain-l’Hermitage devient un centre avec une gare d’expédition, plutôt spécialisé dans la production d’abricots. De nombreuses gares de la vallée développent également une fonction d’expédition (Figure 14).

Figure 14: Volumes de fruits expédiés dans les gares en 1924

Source: Desmoulins, 1925

La concomitance entre l’expansion des vergers, des marchés de production, puis des gares d’expédition montre que production et commercialisation sont deux aspects indissociables de l’arboriculture. La production et son système d’expédition s’étend donc sur les deux rives du Rhône (une voie ferrée sur chacune), formant déjà les limites de l’extension nord-sud du bassin de production de la Moyenne Vallée du Rhône, à cheval sur la Drôme et sur l’Ardèche (Carte 11). Cette production fruitière émergente entraîne le développement d’activités associées.

Notes
122.

Jacques Béthemont a décrit ce processus migratoire selon deux cas de figure. Dans le premier, ce sont des petits producteurs propriétaires qui rachetaient des parcelles dans la vallée du Rhône, notamment pour installer un fils. Dans le second ce sont des arboriculteurs non propriétaire qui, grâce à leur savoir-faire, prenaient un métayage dans la vallée, et dont les hauts revenus de la production fruitière leur permettaient ensuite d’acheter une propriété. (Bethemont, 1972).