Jusqu’à la fin des années 1940, la commercialisation des fruits est relativement facile et rémunératrice, même si les prix fluctuent. La situation change après la guerre : la production augmente par la création de nombreux vergers dans la plaine de Valence, dans la basse vallée du Rhône et dans le Sud-Ouest. Entre 1959 et 1965, la production nationale de pommes double, celle de pêches et de poires augmente de 25% (Coustaury, 1966). Devant la saturation de plus en plus fréquente des marchés de production, provoquant les premières crises de méventes131, les arboriculteurs de la Moyenne Vallée du Rhône s’organisent pour assurer eux-mêmes la fonction d’expédition. Les plus petites exploitations sont nombreuses à choisir l’organisation en coopérative, tandis que les plus grandes ont tendance à s’équiper elles-mêmes de stations d’expédition.
Les premières coopératives, comme celle créée en 1934 à Anneyron, ont une vocation d’achats de produits agricoles pour les exploitations et un rayonnement communal (Tableau 12). Rapidement, les fonctions relatives à l’expédition prennent le dessus et justifient la concentration de plusieurs centaines de producteurs dans une même coopérative, dont le rayonnement peut atteindre quelques dizaines de kilomètres. La première fonction développée est celle de réfrigération. Les coopératives s’équipent de frigorifiques pour stocker les fruits lorsque le marché sature. C’est cette raison qui motive la création, en 1949, de la Société du Frigorifique de Beauchastel : 550 producteurs de toute la vallée de l’Eyrieux élargie y adhèrent (Caritey, 2007). Durant les années 1950, elle devient la coopérative Coopeyrieux, prenant également la fonction de commercialisation. Les coopératives s’équipent alors de stations de conditionnement, avec chaînes de calibrage. Pour assurer l’expédition, elles sont raccordées au réseau ferré : leurs bâtiments de stockage sont prolongés directement par des quais de chargement des wagons.
En 1972 dans la région Rhône-Alpes, 38 coopératives et SICA sont recensées dans le secteur des fruits et légumes frais. La coopération détient 78% des chambres froides de plus de 2000 m3 et 77% des installations d’atmosphère contrôlée (Leroux, 1976). Elle représente alors une part majoritaire de la production fruitière (en volumes et en nombre de producteurs) et les stations d’expédition les plus modernes.
Coopérative |
Création | |
Date | Nombre d’adhérents à la création | |
Coopérative des Producteurs de Fruits et Légumes d’Anneyron | 1934 | 42 |
Coopérative des Producteurs de Fruits de Saint-Rambert | 1942 | |
Coopérative des Producteurs de Fruits d’Epinouze | 1942 | |
Coopérative des Producteurs de Fruits de Tain-Tournon | 1942 | 188 |
Coopérative des Producteurs de Fruits de Romans | 1945 | |
Coopérative des Producteurs de Fruits de Lapeyrouse | 1947 | |
Coopérative des Producteurs de Fruits de Chanas | 1948 | |
Coopérative des Producteurs de Fruits de Loriol (Lorifruit) | 1948 | 28 |
Société du Frigorifique de Beauchastel (Coopeyrieux) | 1949 | |
GIE Hermitage-Basse-Isère | 1970 |
Sources : Rufin, 1961 ; Caritey, 2007 ; enquêtes personnelles.
Néanmoins, coopération et producteurs-expéditeurs individuels ont toujours coexisté, alimentant de nombreux débats. Quelle organisation est la plus rentable ? Quel est le modèle préférable pour la Moyenne Vallée du Rhône ? La coexistence est-elle possible entre ces deux types d’organisation ?
Plusieurs auteurs soulignent que la coopération était davantage vécue comme une nécessité organisationnelle et/ou économique que comme une idéologie par les arboriculteurs, fortement marqués par une logique individuelle (Coustaury, 1966; Rufin, 1961). Cette forme de commercialisation s’est en fait rapidement imposée pour les arboriculteurs exploitant des vergers de taille modeste, sur des exploitations spécialisées ou diversifiées. Le développement très rapide des coopératives, en nombre d’adhérents et en volumes de fruits, à l’instar de celle de Saint-Rambert (Figure 15), témoigne du succès rencontré par cette forme d’organisation.
Source: Rufin 1961, réalisation C. Praly.
Les grands domaines ont plutôt tendance à s’équiper seuls, de frigorifiques et de station de conditionnement, et à assurer eux-mêmes les expéditions. En 1966, le géographe Alain Coustaury essaie d’analyser les limites du succès des coopératives, auxquelles les « gros producteurs » ne veulent pas se rallier : « Et puis les paysans de la région n’ont pas l’esprit coopératif, ne se résolvent que difficilement à livrer leur production quand les cours sont hauts et la vente facile sur le marché. En 1957, la coopérative de Tournon a dû rendre obligatoire la livraison, chaque année, de la totalité de la récolte. » (p. 151). Georges Rufin, posant la question de la forme organisationnelle la plus rentable entre petites exploitations rassemblées en coopérative, et gros domaines de production-expédition, répond ainsi : « Il nous faut donc bien évaluer la portée de la coopération fruitière drômoise jusqu’à présent : elle a permis au petit exploitant d’avoir les mêmes avantages commerciaux que le gros exploitant totalement indépendant, c’est énorme ; mais la véritable coopération à la production (les approvisionnements en sont un élément intéressant mais bien restreint) a été refusée ; le petit exploitant, là, est moins bien placé que son voisin plus important. » (1961, p.103). Il se garde pourtant de préconiser une forme organisationnelle plutôt qu’une autre, affirmant que la diversité de la réalité locale ne saurait se réduire à une solution systémique et générale. Quelle que soit sa forme d’organisation, ce mouvement de regroupement de la production est renforcé par la normalisation européenne.
Mévente des abricots en 1957, des poires en 1960 (Coustaury, 1966).