b) Outils de diffusion du modèle de production-expédition

Les structures de formation initiale et continue, nombreuses en Moyenne Vallée du Rhône, ont permis la mise en place d’un véritable outil de diffusion des techniques de l’arboriculture intensive pour l’expédition de masse.

La diffusion a eu lieu par deux voies principales. La première est constituée par les centres de formation et de recherche qui se développent, soutenus par la politique nationale de modernisation de l’agriculture. D’abord généralistes, certaines sections s’orientent spécifiquement sur la production fruitière, accompagnant la spécialisation des techniques culturales. La MFR d’Anneyron, créée en 1941, forme de nombreux arboriculteurs, dont une partie des futurs responsables professionnels ou acteurs leaders du bassin145. Elle ouvre dès 1975 un BEPA146 « arboriculture fruitière », puis en 1983 un BTA147 « arboriculture fruitière » : le premier de toute la région Rhône-Alpes. Une école régionale d’agriculture est également ouverte en 1957 à Bourg-lès-Valence, qui devient le lycée agricole du Valentin. La ferme de cet établissement comporte rapidement des vergers de pêchers et d’abricotiers. Le CFPPA148 qui y est associé propose en 1986 une formation pour accéder au BEPA « arboriculture fruitière ». Une station expérimentale de l’INRA d’Avignon est ensuite mise en place à proximité du lycée agricole, dédiée spécifiquement à l’étude des techniques de production fruitière (centre INRA-Gotheron). Enfin, une station expérimentale fruitière régionale, la SEFRA149, est créée en 1990 au cœur du verger de la Moyenne Vallée du Rhône, sur une ancienne station expérimentale de la Chambre d’agriculture de la Drôme, à Etoile.

La seconde voie concerne la diffusion des techniques et des variétés nouvelles auprès des arboriculteurs déjà installés. L’expérimentation collective s’organise par des liens et des rencontres fréquentes entre les techniciens des Chambres d’agriculture, des stations expérimentales et les arboriculteurs. Des journées techniques ou de présentation des variétés nouvelles par les stations expérimentales attirent de nombreux visiteurs150. Un technicien raconte que dans les années 1980-86, le verger expérimental de l’INRA de Gotheron, correspondant à une petite collection de variétés, est un lieu important d’échanges et de transmission de l’information : « tous les vendredi matin il y avait des visites, il y venait plein de monde, les gens ont tout appris sur les variétés : les greffes, des tas de trucs. »151. Le technicien de la Chambre d’agriculture de l’Ardèche évoque lui aussi la dynamique collective qui a lieu au sein du Groupement de Vulgarisation Agricole (GVA) du plateau ardéchois. Il affirme qu’un grand nombre d’arboriculteurs développe son exploitation autour de l’expérimentation menée dans les programmes de ce GVA, en relation avec l’INRA. Concrètement, des vergers expérimentaux sont mis en place chez les producteurs, d’abord à l’échelle de parcelles d’essai locales, ensuite dans des parcelles grandeur nature à l’échelle régionale, avec des visites de ces parcelles organisées pour les producteurs. Le technicien évoque la dynamique d’émulation impulsée par ce GVA pour les producteurs, avec des voyages d’études et des échanges fréquents avec les établissements scolaires agricoles locaux152. Des partenariats sont également contractualisés entre ces mêmes techniciens et les GP pour assurer un suivi technique et une amélioration croissante des performances au verger des adhérents. Le progrès technique est ainsi un projet fédérateur, rassemblant les arboriculteurs du bassin : « il y avait un minimum d’appui technique global qui se faisait parce que tout le monde avait une convention avec la Chambre d’agriculture, les techniciens allaient chez tout le monde, bon même si ça correspondait à une période un peu faste en arboriculture, mais si vous voulez il y avait un peu ça. Donc il y avait le développement qui était là, progrès techniques, il y avait un minimum de trucs qui soudaient, qui cimentaient un peu les GP, que ce soit les coop ou les indépendants, donc il y avait quelque chose quoi. »153.

Dans ces centres techniques, les techniciens rédigent des articles dans les journaux agricoles locaux, visitent les producteurs sur leurs exploitations et sont ainsi les vecteurs du modèle de modernisation porté par la politique nationale et les responsables professionnels locaux. En 1966, Georges Rufin souligne le rôle de l’encadrement technique et financier apporté aux exploitants fruitiers par les coopératives, les techniciens des Chambres d’agriculture, ainsi que par le Crédit Agricole (Rufin, 1961). Le discours des OPA adhère à celui de la politique nationale de modernisation, et soutient le mouvement de normalisation et d’organisation du bassin de production : « Les services agricoles pensent que seuls des groupements de producteurs pourraient faire respecter la discipline, surveiller le marché, déterminer, pour chaque campagne, les qualités de fruits commercialisables. » (Coustaury, 1966, p.153). La Moyenne Vallée du Rhône ou du moins les responsables de son système d’encadrement sont particulièrement investis dans la recherche de productivité des vergers dans les années 1960 et 1970154.

Notes
145.

Quelques exemples peuvent être cités à partir du fichier des anciens élèves : C’est le cas de Robert Vallon, qui s’installe arboriculteur dans les années 1970 puis s’arrête pour reprendre une entreprise d’expédition, Savajols SA. C’est également le cas de Camille Pascal, élève de la première promotion, qui est parmi les premiers à planter des pêchers à Epinouze, et dont le fils devient président de Chanabel en 1989 (il l’est encore en 2006). Guy Sauvajon, de la promotion 1966-67 devient arboriculteur, en 2006 il élu Chambre d’agriculture 26, administrateur du Crédit Agricole, membre de la section nationale poire, membre de la CDOA 26. Bruno Darnaud, issu de la promotion 1983-85, est actuellement élu à la Chambre d’agriculture 26, président du GIE Hermitage-Basse-Isère et président du CSF-RA, etc.

146.

Brevet d’études professionnelles agricoles.

147.

Brevet de technicien agricole.

148.

Centre de formation professionnelle pour adultes.

149.

Station expérimentale fruitière de Rhône-Alpes.

150.

Entretien auprès d’un technicien encore en poste, 2006.

151.

Ingénieur CTIFL en poste à la SEFRA, juin 2006.

152.

Technicien de secteur, Chambre d’agriculture 07, juin 2006. La citation suivante illustre son propos : « Moi je suis reconnaissant vis-à-vis de ces gens, qui ont innové et qui ont accepté de prendre des risques et de faire de l’expérimentation. Il y a des gens avec qui j’ai beaucoup travaillé, et qui ont été véritablement des pionniers ».

153.

Arboriculteur responsable professionnel, avril 2006.

154.

En témoigne, un technicien en poste à la Chambre d’agriculture de la Drôme en 1964, qui préfère quitter ce bassin de production et travailler dans un Centre d’Expérimentation Technique Agricole (CETA) de la Loire, porteur d’une vision qu’il juge moins « productiviste » (Enquête personnelle, juin 2006).