b) Ouverture du marché européen

Dans le même temps, le climat concurrentiel s’accroît à l’échelle européenne avec l’ouverture progressive du marché commun. Pour la production fruitière française, la concurrence des autres pays producteurs s’exerce non seulement sur le marché intérieur, mais également sur les marchés européens.

L’entrée de l’Espagne dans la CEE en 1985 suivie de l’ouverture des frontières françaises à ses exportations de fruits en 1990 constitue un bouleversement pour la filière nationale et la structuration des marchés. L’arrivée des pêches et des fraises espagnoles sur le marché intérieur est attendue avec appréhension par les producteurs français. Cet évènement est l’objet central d’un numéro « Spécial arboriculture » de l’Association de la Presse Agricole du Sud-Est Centre (APASEC)162 d’avril 1986. Les organismes d’encadrement de la Moyenne Vallée du Rhône y encouragent les producteurs à se démarquer des pêches espagnoles et italiennes par des produits de meilleure qualité, puisque la compétition par les prix est inégale. Pierre Giauque, alors technicien arboricole à la Chambre d’agriculture de la Drôme, dresse le constat suivant : « Dans le domaine nous nous heurtons à nos partenaires mieux placés que nous sur le plan des charges, de main d’œuvre en particulier (Espagne, sud de l’Italie), ou très structurés en matière de conditionnement et mise en marché d’une production de masse (nord de l’Italie). » En outre, il souligne que les consommateurs attendent des fruits de bonne qualité et d’un calibre suffisant. Pour cela, il conclut par une injonction à produire « tout en maintenant nos prix de revient dans des normes raisonnables, produire des fruits de qualité et valoriser cette qualité. Cette stratégie est celle de la sortie par le haut. C’est la plus raisonnable même si elle est plus exigeante. Elle impose un travail soigné aussi bien au verger qu’à la station et l’élimination de toute variété n’atteignant pas le potentiel de qualité requis. Soyons ambitieux et sortons par le haut ! » (Giauque, 1986). Dans ce même numéro, Gilbert Nicaise, technicien arboricole du SUAD de la Loire évoque l’opportunité de l’appellation d’origine pour différencier les fruits. Il propose de faire reconnaître les qualités liées à aux terroirs locaux, notamment les pommes et les poires de Savoie, les pommes du Pilat et les pêches de la Drôme, à l’instar des crus pour les vins (Nicaise, 1986). Ainsi, le début des années 1990 marque la fin du « productivisme sauvage », qui consiste à produire de la quantité sans aucune recherche de qualité. Le marché fruitier européen nécessite désormais un « productivisme raisonné »163, c’est-à-dire une production de volumes, tout en maîtrisant les charges, mais de bonne qualité commerciale (selon le barème de la normalisation) pour se différencier de la concurrence extérieure.

En effet, les pays du sud de l’Europe conquièrent des parts dans les marchés d’exportation traditionnellement réservés à la France, comme l’Allemagne (première destination représentant 25,5% de la valeur des exportations françaises164) et le Royaume-Uni (10,8%165). L’Espagne y exporte des agrumes, des fraises, des pêches et des nectarines à des prix de vente généralement inférieurs aux prix français. La Grèce est le leader de la production de pêches à destination de la transformation. Enfin, la Turquie se positionne parmi les principaux producteurs mondiaux avec plus de 13 millions de tonnes de fruits produites annuellement166.

Dans le même temps, le marché français s’ouvre aux importations (Figure 20). Si la grande majorité des fruits importés concernent des produits exotiques, 17% sont des kiwi et 13% des fraises (en valeur). L’Espagne est le principal fournisseur, représentant près de la moitié de la valeur des importations françaises. Elle fournit des agrumes, des pêches, des abricots, des fraises, des prunes, des cerises et du raisin. L’Italie est le second fournisseur, notamment pour le raisin de table, les poires, les pêches et le kiwi. Le marché national s’ouvre également à la production mondiale. Les importations de l’hémisphère sud permettent la régularité de l’approvisionnement des étals français. L’Afrique du Sud fournit des poires, l’Argentine des poires, des pêches, des petits fruits, etc. La Nouvelle-Zélande, premier producteur mondial de kiwi, approvisionne également le marché français. Les flux commerciaux tendent à se développer avec les pays asiatiques, en particulier pour les fruits destinés à l’industrie. La Chine est le premier producteur mondial de fruits, et notamment de pommes dont elle assure près de 40% de la production mondiale (24 millions de tonnes produites en Chine en 2002).

Figure 20: Importations françaises de fruits par pays fournisseur en 2008

Sources : douanes françaises, CTIFL. Réalisation C. Praly

Dans ce contexte de plus en plus concurrentiel, la France ne cesse de perdre des surfaces et des volumes de productions fruitières (Figure 21). Entre 1994 et 2003 les surfaces de vergers diminuent de 61 000 ha (- 25%) et la production perd 975 000 t (- 22,5%). Elle demeure cependant le troisième producteur européen de fruits, loin derrière l’Italie et l’Espagne, et se place dans les dix producteurs mondiaux. Elle est également le troisième exportateur européen de fruits et légumes frais, toujours derrière l’Italie et l’Espagne167.

Figure 21: Evolution des productions fruitières des principaux pays producteurs européens

Sources : données CTIFL, réalisation C. Praly

Finalement, la production fruitière de la Moyenne Vallée du Rhône est peu compétitive sur ce marché mondialisé, principalement parce que les charges de production françaises sont plus élevées que dans les pays à faible coût de main d’œuvre.

Notes
162.

Ce numéro est conjointement publié par L’Agriculture Drômoise, L’Avenir Agricole de l’Ardèche, L’Information Agricole du Rhône, Paysans de la Loire, Terre Dauphinoise, à l’occasion de la tenue du 40ème Congrès de la FNPF, les 14 et 15 mai 1986 dans la Drôme.

163.

Ces expressions et leurs définitions sont celles proposées par Pierre Giauque, ingénieur du CTIFL détaché à la SEFRA, spécialiste de la production fruitière et notamment de la pêche. Il constate par ailleurs, lors de notre entretien mené en 2006, que les arboriculteurs qui se sortent le mieux de la situation actuelle sont ceux qui pratiquent le « productivisme raisonné », atteignant des rendements de plus de 35 t de pêches commercialisées par hectare.

164.

Chiffres de la campagne 2001, issus des Douanes françaises, analysées par l’INRA (Jeannequin et al., 2004).

165.

Idem.

166.

Source : DREE, 2003, mentionné par l’INRA (Jeannequin et al., 2004).

167.

Avec 1,4 millions de tonnes de fruits frais exportés en 2006 (sources Douanes françaises).