II. Morcellement territorial par les initiatives de différenciation : tensions centripètes

Face aux difficultés économiques, de nombreux projets sont menés par les producteurs pour essayer de différencier les fruits. Dès 1986 les techniciens des Chambres d’agriculture appelaient à une différenciation par « la qualité » des fruits de la Moyenne Vallée du Rhône pour se maintenir face à la concurrence espagnole imminente. Cette notion nouvelle de « qualité » recouvre néanmoins plusieurs définitions et sous-tend autant de stratégies de différenciation différentes. Lorsque quelques rares techniciens évoquent la possibilité de différenciation par le terroir (Nicaise, 1986), les responsables professionnels envisagent plutôt une politique de qualité restant dans les standards commerciaux en vigueur : « par une amélioration du calibre, de la coloration, de la saveur gustative, de la conservation, etc. Par qualité, il faut aussi entendre emballage, transport, chaîne du froid, distribution, publicité, promotion. » (Julien, 1986, p.1). Une première expérience de commercialisation de « lots de pêches de qualité gustative contrôlée » a été menée par la Chambre d’agriculture de la Drôme lors de la campagne de 1985. Cet essai, associant des critères de qualité gustative (analysée en termes d’acidité et de taux de sucre), de qualité commerciale et normative (aspect, conditionnement, catégories normalisées) et d’aptitude à la conservation, amène la chargée de mission à conclure qu’il existe un créneau commercial, estimé à 20% des ventes, qui permettrait de mieux valoriser les fruits de qualité haut de gamme (Solau, 1986). L’arboriculture de la Moyenne Vallée du Rhône entre de plein pied dans « l’économie de la qualité » théorisée dix ans plus tard par François Nicolas et Egizio Valceschini (1995). En 1987 un Label Rouge « pêche et nectarine de la Drôme » est obtenu.

Depuis lors, la recherche de qualité et de différenciation de la production en lien avec l’origine géographique ou l’identité territoriale constitue une voie de réponse à la crise choisie par certains acteurs. Logiquement, ils ont cherché à mobiliser les outils existants que sont les AOC/IGP et les marques et identifiants territoriaux. Nous avons choisi d’analyser sept démarches collectives portées successivement depuis plus de quinze ans par différents groupes de producteurs, à plusieurs échelles et s’appuyant sur des ressources territoriales variées. L’analyse est menée dans un premier temps sur les tentatives d’obtention d’IGP, et dans un second temps sur les marques et identifiants territoriaux. Elle permet de saisir les stratégies propres aux différentes démarches, les ressources autour desquelles elles se sont structurées, leurs points d’achoppement et enfin leur influence sur le bassin de production.

Carte 12: Echelles des différentes initiatives d'identification territoriale

Sources : fond de carte IGN, données RGA 2000, enquêtes personnelles. Réalisation C. Praly.