a) Bilan des démarches IGP et AOC existantes en fruits

En France, les fruits bénéficiant d’un signe de qualité (Tableau 18) correspondent à de « petites » productions. Les volumes commercialisés sont très faibles. Par exemple, en 2004, les deux appellations de raisins AOC ont représenté en tout 6 956 t. (Vernin, 2005). Les exploitations concernées par une appellation sont également peu nombreuses : 5% des exploitations fruitières produisent sous AOC en 2000. Enfin, les surfaces occupées par des productions fruitières et légumières sous appellation sont faibles, avec 20 000 ha en 2000, soit 3,9% des surfaces françaises de fruits et légumes224.

Tableau 18: Bilan des AOC et IGP existantes dans la filière fruits au 1er octobre 2009
11 AOC 6 IGP
Chasselas de Moissac – 1971
Châtaigne d’Ardèche – 2006
Figue de Solliès – 2006
Muscat du Ventoux – 1997
Noix de Grenoble – 1938
Noix du Périgord – 2002
Olive de Nice – 2001
Olive de la Vallée des Baux de Provence – 1997
Olive de Nîmes – 2006
Olive Noire de Nyons – 1994
Pomme du Limousin – 2005
Clémentine de Corse – 2001
Fraise du Périgord – 1997
Kiwi de l’Adour - 2009
Mirabelle de Lorraine – 1994
Pommes et Poires de Savoie – 1994
Pruneau d’Agen et prune d’Agen cuites - 1996

Source : CTIFL, INAO, réalisation C. Praly.

L’analyse par produit montre que les AOC/IGP en fruits recouvrent deux grands groupes. Le premier rassemble des fruits qui bénéficiaient d’une appellation judiciaire ou d’un label régional français avant la réglementation européenne de 1992 sur les indications d’origine225. Ils ont été reconnus respectivement en Appellation d’origine protégée et en IGP presque automatiquement, suite à cette réforme. Les exigences quant à la démonstration de leurs liens au terroir étaient alors moins précises qu’elles ne le sont dans la nouvelle réglementation. C’est le cas de la Noix de Grenoble AOC, du Chasselas de Moissac AOC, des Pommes et Poires de Savoie IGP, de la Mirabelle de Lorraine IGP. Ces produits jouissent aujourd’hui d’une notoriété élevée auprès des marchés et des consommateurs, mais le lien au terroir tel qu’exigé dans les dossiers actuels d’AOC et d’IGP est difficile à définir.

Le cas des pommes et poires de Savoie en constitue un bon exemple (Richer, 2007). La Savoie, qui bénéficie d’une image de montagne et de bon terroir est un territoire possédant de nombreuses indications géographiques. On connaît surtout celles concernant les fromages et les vins, mais les pommes et poires bénéficient également de cette identité et de cette dynamique territoriale. Revendiquant une production et une utilisation culinaire anciennes et réputées (depuis le XIXe siècle au moins), les vergers de Savoie et de Haute-Savoie possèdent un label régional depuis 1979. En 1996, la fédération des producteurs obtient la reconnaissance de ce label par une IGP au niveau de l’Europe et depuis 2004, les pommes et poires de Savoie sont identifiées par une Certification de Conformité de Produit226 (CCP) qui inclut les diverses variétés de fruits cultivés. Cette CCP comporte aujourd’hui six variétés de poires et quinze variétés de pommes, produites dans les départements de Savoie, Haute-Savoie et cinq communes de l’Ain. Elle rassemble 30 % des arboriculteurs et représente 50% de la surface des vergers de cet espace. Le cahier des charges, de la production à la distribution, exige une entente et une homogénéité entre les producteurs, ce qui garantit une certaine stabilité du produit vendu. Les critères de qualification sont liés à de « bonnes pratiques de production », proches des normes de production raisonnée, et à la sélection des meilleurs terroirs agronomiques pour l’implantation des différents vergers, en fonction des espèces et des variétés. Le cahier des charges ne se réfère que très peu aux spécificités intrinsèques du produit, aucun test gustatif n’est réalisé. Les conditions climatiques de montagne, mises en avant dans les caractéristiques du terroir agronomique ne sont pas propres à la seule Savoie, et il est difficile de les différencier des productions de pommes du Pilat ou de pommes des Hautes-Alpes.

Le second groupe de fruits correspond aux appellations AOC et IGP obtenues après la réforme de 1992, donc selon une instruction du dossier plus exigeante quant à la démonstration du lien entre le produit et le terroir. Il est davantage constitué par des produits « oubliés » de la modernisation ou des petites productions de niches, qui bénéficient de stratégies de relance : les olives et huiles d’olives AOC (Durbiano, 2000), la Châtaigne d’Ardèche AOC, la Figue de Solliès AOC. Dans ce cas, les productions demeurent très confidentielles et le tout nouveau signe de qualité est difficile à valoriser. C’est le cas pour la Châtaigne d’Ardèche227, qui a obtenu une AOC en 2006 mais dont les volumes certifiés sont relativement faibles. Les producteurs peinent à couvrir le surcoût de la certification, ce qui limite leur engagement dans la démarche. Leurs acheteurs habituels n’acceptent pas facilement de payer plus cher le même produit que l’année précédente, même s’il dispose d’une AOC. L’investissement collectif de départ, qui consiste à assumer les surcoûts sans pouvoir les valoriser immédiatement, le temps d’asseoir l’existence commerciale de la Châtaigne AOC et donc son prix, n’est pas facile à supporter pour les producteurs228.

La Figue de Solliès est un autre exemple de ces petites AOC nouvelles (Moustier, 2007). Bassin historique spécialisé sur la figue pendant l’entre-deux-guerres, les 170 ha de figueries de Solliès produisent 75% des figues françaises en 1997. 90% de la production est constituée par une seule variété, la Bourjassote noire, dont les caractéristiques externes sont facilement identifiables : couleur violette de la peau, forme turbiniforme aplatie (en toupie), pulpe rouge foncée. C’est cette variété qui fait l’objet d’une AOC, obtenue en 2006. Le décret est très précis quant aux critères de qualification. Outre les articles classiques concernant l’aire géographique, les conditions de production et de commercialisation, il précise : la période de cueillette (15 août-15 novembre), la taille du fruit (diamètre supérieur ou égal à 40 mm), sa couleur (plus de 80% de violet sur l’épiderme) et sa teneur minimale en sucre (14°Brix). En 2006, 600 t. de figues sur les 1400 t. produites au total ont été certifiées en AOC, dont 90% sont mises en marché par la coopérative du bassin de Solliès, ce qui concerne une trentaine de producteurs principaux. Philippe Moustier souligne les nombreuses menaces quant à l’avenir de cette « production de niche », concurrencée sur le marché par les figues turques, et sur le foncier par l’urbanisation. Une meilleure valorisation est essentielle pour assurer le renouvellement des exploitants et des vergers. S’il est trop tôt pour évaluer l’impact économique de l’AOC, il semble qu’elle ait contribué à la mobilisation des collectivités territoriales pour la valorisation patrimoniale de ce fruit (signalétique « capitale de la figue », création de la fête de la figue).

Parmi les fruits AOC et IGP, les principales espèces de fruits d’été françaises ne sont pas représentées : ni pêches, ni abricots, ni cerises. Pourtant, de nombreux dossiers de demande d’IGP ont été déposés au début des années 2000 par les grands bassins de production de pêches et nectarines229 : « pêche-nectarine de la Drôme » pour le bassin de la Moyenne Vallée du Rhône230; « pêche de Nîmes » pour le bassin de la Crau et « pêche du Roussillon » pour le bassin des Pyrénées-Orientales. Devant les difficultés de la reconnaissance du lien au terroir pour ces fruits, aucun n’a abouti. Cette situation a interpellé les services de l’INAO. Une étude spécifique a été menée pour définir les caractéristiques du lien au terroir des pêches-nectarines231. A partir de ce travail, un référentiel spécifique aux fruits frais a été élaboré, validé par le Comité National IGP de l’INAO en décembre 2006232.

D’où viennent tant de difficultés pour les fruits ? La modernisation des bassins de production fruitiers aurait-elle été telle que le lien au terroir soit définitivement effacé ? Sur quels critères précisément des liens fruit-terroir manquent ? L’examen des démarches portées à l’aune du rapport d’orientation de l’INAO montre que la normalisation a fait son œuvre, et que des caractéristiques propres aux productions fruitières rendent difficile l’accès à l’IGP.

Notes
224.

Source : RGA 2000.

225.

Règlement n° 2081-92 du Conseil des communautés européennes du 14 juillet 1992 relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d'origine des produits agricoles et des denrées alimentaires.

226.

La certification de conformité produit atteste qu'une denrée alimentaire ou qu'un produit agricole non alimentaire et non transformé est conforme à des règles spécifiques et à des caractéristiques préalablement fixées (les « exigences et recommandations ») qui le distinguent du produit courant et qui portent, selon les cas, sur la production, la transformation ou le conditionnement.

227.

Enquête personnelle auprès du président du Syndicat de Défense des Producteurs de Châtaignes d’Ardèche AOC, rencontré lors des séries d’enquêtes en 2006 et en 2007.

228.

Dans le cas de la châtaigne, l’usage oublié de ce produit ne facilite pas non plus son essor commercial.

229.

Entretiens personnels avec le chef de Centre de l’INAO de Valence et avec une agent de l’INAO de Romans, rencontrés en septembre 2006, en février et mai 2007.

230.

(2004)

231.

D’abord, un mémoire d’ingénieur agronome a analysé les 3 dossiers déposés. Cette étude a ensuite été approfondie et généralisée par une commission d’enquête de l’INAO.

232.

Le rapport intitulé « Orientations pour les demandes d'I.G.P. (Indication Géographique Protégée) concernant des fruits »expose en 18 pages comment caractériser le lien au terroir pour des fruits frais (I.N.A.O., 2006).