a) Reconnaissance collective d’une ressource : cadre théorique

La reconnaissance collective d’une ressource dépend des représentations des acteurs et de leur capacité à les remettre en question : « sans identification, c’est-à-dire sans capacité de réinventer le territoire, de redonner aux objets un nouveau sens, la création de ressource ne peut se faire. » (Kebir, 2006, p.718). Cette nécessaire redéfinition de l’objet est également décrite par les anthropologues lors de la construction d’un panier de biens à partir de ressources patrimoniales (Berard et al., 2006). Ils proposent un schéma en cinq étapes, dont les deux premières concernent la reconnaissance/création de la ressource patrimoniale : d’abord, une lecture sélective du passé fait émerger certaines productions comme traditionnelles ; ensuite, une seconde lecture rend certaines d'entre elles patrimoniales en opérant un changement de statut, une mutation de fonction et d'usage des objets et des pratiques. Les géographes détaillent davantage encore le processus de « révélation » de la ressource patrimoniale (Francois et al., 2006). Il y a d’abord sélection des objets, puis justification de ce choix ce qui entraîne un changement de statut. Ensuite viennent les étapes de conservation (avec modification d’état) puis de mise en exposition (modification d’usage). Les deux premières étapes sont de l’ordre du discours et conduisent à fixer l’objet sous une acception collective, tandis que les suivantes relèvent du champ de l’action.

Or la capacité de redéfinition collective n’est pas évidente, surtout lorsqu’il s’agit de réenvisager l’usage ou le sens d’objets de l’environnement proche et quotidien (au contraire des ressources patrimoniales sélectionnées dans le passé). Elle peut même créer des conflits entre groupes sociaux, ou le manque d’adhésion des acteurs locaux au projet. A ce moment, la relation objet/système de production étant en pleine émergence, elle est fragile, et repose souvent sur des acteurs individuels, des visionnaires qui croient au projet ou des acteurs qui sont liés à l’objet. Si ceux-ci disparaissent, la ressource peut disparaître aussi. « Plus l’identification de la ressource est collective, plus un grand nombre de personnes reconnaît le potentiel ressource de l’objet et plus le risque de découplage se réduit. » (Kebir, 2006, p.718).

Le passage par une mise en discussion collective, par des débats, peut alors s’avérer nécessaire. La notion de réseaux d’acteurs, ou réseaux socio-techniques développée par le sociologue Michel Callon peut expliquer la production et la diffusion de nouveaux objets (Callon, 1986). Selon cette approche, l’objet sera mis en discussion au sein du réseau, lieu de controverses, de consensus, de compromis. Et l’élaboration d’un nouvel objet, autrement dit la reconnaissance de la ressource, ne sera possible que si finalement il y a stabilisation d’une acception collective au sein du réseau. Ce processus est appelé traduction, ce qui désigne la mise en réseau progressive, la mise en relation d’intérêts hétérogènes, qui inclue des ajustements, des opérations de détournement, de captation des intérêts, d’évolution des objectifs poursuivis par les divers acteurs et de la définition même de ce qu’ils sont.

Nous rejoignons ici les observations de Leila Kébir (2006) qui constate que la dynamique de la mise en valeur est associée à une coordination par le réseau, ce qui correspond à une phase d’innovation. La coordination par le réseau permet non seulement la mise en débat et l’identification collective de ressources territoriales, mais elle permet également de diffuser l’idée nouvelle vers le plus grand nombre de personnes, afin de réunir les forces nécessaires pour élaborer le projet de valorisation de ces ressources.

Ainsi, dans le cas de la Moyenne Vallée du Rhône qui est celui d’une dynamique émergente, le processus collectif de reconnaissance et définition de la ressource dépend, d’une part, des représentations préexistantes des acteurs, et d’autre part, des débats et controverses menés au sein des réseaux sociotechniques porteurs de la démarche.