Conclusion de la Première Partie

L’analyse systémique du bassin de production et des stratégies des acteurs qui le composent, menée à plusieurs pas de temps et d’échelles, montre l’interdépendance entre un modèle productif et son contexte à la fois local et global.

Le jeu d’échelles à un moment donné (2006) permet, dans un premier chapitre, de révéler la logique de fonctionnement d’un bassin de production a priori surprenant : structuré à l’échelle de la Moyenne Vallée du Rhône, il recouvre une diversité de territoires productifs infra-départementaux dont les fruits, également divers, sont expédiés sur les marchés standards nationaux et d’export. L’articulation entre ces trois échelles, celle des territoires productifs, du bassin de production et des marchés d’expédition, est organisée selon un modèle productif structurant et définissant le bassin de production de la Moyenne Vallée du Rhône, le modèle de production-expédition.

Dans un second chapitre, l’analyse du bassin dans le temps long éclaire les conditions et la logique dominante dans lesquelles il s’est construit. Ici également, la prise en compte des jeux d’échelles révèle comment les acteurs locaux ont su tirer partie du contexte national favorable pour développer l’arboriculture selon un modèle productif dominant : l’expansion des productions dédiées à l’expédition.

Enfin, l’articulation entre les logiques temporelles et les jeux d’échelles permet d’analyser, dans un troisième chapitre, comment le bassin réagit et s’adapte aux évolutions structurelles des années 1990, entre ouverture du marché et développement des démarches de qualité territorialisée. Le modèle de production-expédition de la Moyenne Vallée du Rhône n’est plus compétitif dans ce contexte. Il est soumis à une double tension : la logique d’expédition produit un effet de dilution dans la filière nationale (force centrifuge) alors que la recherche d’identification territoriale exerce un effet de morcellement territorial.

Ainsi, si l’organisation héritée du bassin de production-expédition n’est plus efficace dans le contexte politico-économique actuel, aucune solution évidente ne se dégage à l’échelle collective et formelle de ce bassin, qui demeure aujourd’hui encore dominé par le modèle productif de production pour l’expédition.

La notion de bassin de production demeure-t-elle pertinente pour saisir l’arboriculture de la Moyenne Vallée du Rhône, dont l’espace est constitué de plusieurs territoires et la filière est traversée de tensions spatiales contraires ? Son intérêt réside dans sa capacité à expliquer les résistances du système hérité, sous-tendu par un modèle productif et défendu par des institutions d’encadrement dominantes, ici les organisations syndicales investies par les arboriculteurs. Néanmoins, sans l’approche en termes de ressource territoriale en dynamique d’émergence, empruntée à Leïla Kébir (2006), la notion de bassin de production offrirait une lecture trop monolithique. Considérer les interactions entre les initiatives émergentes et le système productif dominant (le bassin de production-expédition) révèle en effet le principal point de blocage : la première mise en marché des fruits. Le manque de stratégie collective de valorisation entre les producteurs et les principaux opérateurs de l’expédition explique l’échec des différentes initiatives intentées.

Quelles sont donc les perspectives pour ce bassin de production ? L’opposition entre les initiatives d’identification territoriale et la stratégie d’expédition peut-elle conduire à un éclatement du bassin en plusieurs systèmes productifs indépendants ? C’est ce qui est décrit par Eric Manouvrier dans le cas de l’endive du Nord (2004; 2008). Il montre comment les bassins de production industriels se développent à l’écart des bassins traditionnels. Ces derniers développent des stratégies de « produits de terroir » avec l’appui des collectivités territoriales, mais en conflit avec les institutions syndicales qui encadrent et défendent le modèle industriel. Or, dans notre cas l’analyse montre qu’il n’y a pas séparation entre les deux logiques en présence, qui demeurent interdépendantes : les expéditeurs ne s’émancipent pas de la production locale, et les initiatives d’identification territoriales ne se construisent pas sans eux. Il s’agit donc à présent de dépasser la question du conflit pour analyser l’articulation possible entre des logiques de valorisation territoriale et des logiques d’expédition.