Chapitre 4 :
Typologie des stratégies de valorisation des exploitations

Ce chapitre propose un état des lieux des pratiques commerciales des producteurs, dans le but de comprendre quelles ressources sont mobilisées, par quelles pratiques, pour quels circuits de commercialisation, et comment.

L’analyse s’appuie sur les données récoltées lors de l’enquête systématique de 2006. 25 producteurs ont été interrogés par des entretiens semi-directifs d’une durée de 1h30 à plus de 3h. L’objectif des entretiens était de connaître le producteur (parcours professionnel), les réseaux dans lesquels il évoluait (sectoriels et territoriaux), l’exploitation agricole (structure et pratiques de production), ses modes de commercialisation, les conséquences de la crise, leurs projets et visions de l’avenir242. Les 25 producteurs ont été choisis selon un échantillonnage raisonné. L’ensemble des exploitations enquêtées devait représenter une diversité de situations, selon trois grands critères : l’âge de l’exploitant ; la localisation géographique de l’exploitation ; le mode de commercialisation. Ainsi, l’échantillon présente des producteurs de moins de 30 ans comme des producteurs proches de la retraite, des exploitations réparties sur les quatre sous-espaces arboricoles de la Moyenne Vallée du Rhône et présentant tous les types possibles de mise en marché (par une OP coopérative, par une OP libre, par la vente directe, par des opérateurs indépendants, etc.). Ce choix d’échantillonnage s’explique par notre hypothèse initiale, postulant que la mobilisation de ressources territoriales dépend de l’articulation entre le bassin de production et ses territoires. Or, étant donné les différences d’ancrages territoriaux de l’arboriculture dans les sous-espaces, on peut supposer que les ressources territoriales mobilisées varieront également. En outre, le mode de commercialisation de l’exploitation, selon qu’il est plus ou moins lié au système d’expédition, peut également influer sur la manière de valoriser ou non des ressources territoriales. Ainsi, les 25 exploitations ont été identifiées et sélectionnées en croisant diverses sources capables de nous informer sur les trois caractéristiques que nous cherchions243 (l’âge, la localisation géographique, le mode de commercialisation). Par conséquent, cet échantillon a vocation à montrer la diversité des exploitations fruitières de la Moyenne Vallée du Rhône. Il n’est en aucun cas représentatif quantitativement de la proportion des types d’exploitations existantes. Enfin, précisions que si seulement 25 exploitations ont été enquêtées, ce qui peut paraître faible pour une typologie, c’est parce qu’elles ne constituent qu’une partie du bassin de production, et que nous souhaitions garder du temps pour enquêter les autres opérateurs, les collectivités territoriales et les initiatives collectives.

L’enquête montre une diversité de fonctionnements des exploitations fruitières et de leurs pratiques de commercialisation. Nous entendons par « pratique » de commercialisation chaque type de débouché utilisé pour vendre les fruits de l’exploitation : livraison à une coopérative, vente à un expéditeur, à un industriel, à un détaillant, etc. L’analyse des différentes pratiques existantes au sein d’une exploitation permet d’élaborer une typologie des stratégies de valorisation des exploitations montrant comment les différentes ressources territoriales sont mobilisées. Ainsi, la première partie de ce chapitre explicite la construction théorique de cette typologie. Les parties deux et trois présentent ensuite les cinq types de stratégie de valorisation identifiés. La partie deux se concentre sur les stratégies inscrites dans le marché d’expédition et montre comment la ressource organisationnelle mobilisée est menacée par les délocalisations actuelles de la production. La troisième partie analyse les stratégies combinant les circuits d’expédition et le marché régional ainsi que les oppositions et complémentarités existantes entre ces deux voies de commercialisation.

Ce travail de construction théorique réalisé à partir des entretiens et de l’observation s’est trouvé confronté à trois grandes difficultés méthodologiques. La première est liée à la multiplicité des pratiques de commercialisation pouvant être exercées sur une même exploitation. Elles peuvent varier en fonction des espèces, au cours de la saison, d’année en année, selon l’évolution du marché, les aléas climatiques, etc. La seconde difficulté relève du caractère parfois opportuniste et volatil de certaines formes de commercialisation. Les producteurs peuvent très rapidement et ponctuellement vendre sur un circuit, et changer pour un autre, la flexibilité étant facilitée par la nature même des fruits frais : consommables immédiatement, faciles à travailler de manière artisanale, avec peu d’équipement. La troisième difficulté est liée au caractère parfois non déclaré de certaines commercialisations comme la vente au détail, sur les marchés de production, la livraison à des petits grossistes ou des transformateurs244. Cette pratique va de pair avec une habitude d’entente orale. Cela constitue une réalité invisible et officiellement indicible qui opacifie encore davantage la complexité du fonctionnement des exploitations.

Saisir avec précision ces fonctionnements au niveau des exploitations agricoles a nécessité un entretien semi-directif approfondi et détaillé hors période de récolte, l’établissement d’une réelle confiance avec le producteur, ainsi qu’une pratique du terrain pendant la période des récoltes. Sans participation aux travaux de cueillette, de conditionnement, aux livraisons et aux différentes ventes, la multiplicité des pratiques de commercialisation des exploitations de la Moyenne Vallée du Rhône n’aurait pu être comprise.

Notes
242.

Voir le guide d’entretien des producteurs en Annexe 2.

243.

Comme nous l’avons présenté en introduction, ces sources croisent les fichiers d’adhérents de l’association Fruit Plus et des Chambres d’agriculture de la Drôme et de l’Ardèche, du syndicat de la Confédération Paysanne Rhône-Alpes, des anciens élèves et maîtres de stage de la MFR d’Anneyron. Tous ont été discutés avec les chargés de mission ou élus capables de nous renseigner sur les caractéristiques des exploitations.

244.

Dans ces derniers cas les factures établies ne concernent pas toujours la totalité de la livraison, la différence étant payée en liquide.