1. Type 1 : la délégation totale de la mise en marché

L’exploitation de type 1 délègue complètement le travail de conditionnement et de mise en marché. Les fruits sont apportés bruts, soit à une coopérative, soit à un expéditeur privé dans le cadre d’une OP conventionnée ou non.

a) Construction de la valeur ajoutée au verger par des stratégies technico-économiques pointues

Tableau 23: Caractéristiques des exploitations du Type 1
N°EA Pratique de commercialisation Localisation Surface verger Système de production Date d’instal-lation
7 Coopérative Sud Drôme 55 ha pêches/abr/kiwi/cerises 1981
14 Coopérative Nord Drôme 30 ha Pêches 1980
15 Expéditeur (OP) Nord Drôme 15 ha Poires + céréales (15ha) 1971
21 Expéditeur (OP) Nord Ardèche 25 ha Abr/cerises + 25 vaches allaitantes 1986
22 Coopérative Nord Ardèche 10 ha Abr/cerises + vignes (8 ha) 1993

Les 5 exploitations de ce type (Tableau 23) sont situées sur l’ensemble de la Moyenne Vallée du Rhône, et présentent des tailles de verger moyennes à grandes. Elles sont également disparates en termes de systèmes de production, l’une étant spécialisée sur la pêche, une autre sur quatre espèces de fruits, tandis que les trois autres combinent des systèmes fruits et autres productions. Les producteurs se sont installés il y a relativement longtemps comparativement à la date moyenne de l’échantillon, 1986, sur une exploitation dont la taille a augmenté et qui aujourd’hui est en statut d’exploitation individuelle (sauf une en EARL avec l’épouse). Ces exploitations disposent de peu de main d’œuvre familiale puisque quatre d’entre elles comptent seulement 1UTA familiale, le reste est assuré par du travail salarié. Ajouté à cela, la grande taille des exploitations et/ou la diversité des productions peuvent expliquer le choix de déléguer le travail de commercialisation. Le revenu et la marge doivent donc essentiellement s’élaborer au verger, par une production maîtrisée, des techniques pointues, une stratégie technico-économique construite.

Deux stratégies technico-économiques sont appliquées par les exploitations, se distinguant selon la voie de commercialisation choisie :

La première correspond à une logique de production de volumes ou de qualité appelée « standard plus 251  », correspondant aux cahiers des charges des coopératives de la Moyenne Vallée du Rhône (dans les 3 cas) et en outre certifiée pour correspondre aux attentes des circuits de commercialisation nationaux (2 sont en FQC252) et exports (1 est en Eurepgap). Cette stratégie de production de volumes de qualité normée pilotée par les distributeurs correspond aux trois exploitations qui sont en coopérative. Elles appartiennent à trois coopératives différentes, sur trois sous espaces différents. Exceptée l’exploitation située en Nord Ardèche, dont le verger est assez petit (10 ha) du fait d’une production viticole, les deux autres exploitations sont parmi les plus grandes de l’échantillon et sont parmi les trois à avoir des vergers dans le Sud de la France.

La seconde stratégie correspond à une spécialisation dans la production d’une espèce bien adaptée au terroir agronomique (poire à Moras-en-Valloire et abricot Bergeron sur le plateau ardéchois), dont la technique de production est particulièrement bien maîtrisée et orientée vers l’obtention de fruits haut de gamme selon les normes commerciales : qualité essentiellement décrite par l’aspect, la couleur (un abricot très coloré, une poire très claire), le calibre, la tenue, puis la qualité gustative. Ils sont commercialisés par un expéditeur spécialiste de ce produit capable de bien le valoriser sur les marchés adaptés (nationaux et exports). Dans les deux cas, la relation entre le producteur et l’expéditeur est à la fois exclusive, ancienne, d’une confiance et interconnaissance totales. L’expéditeur retransmet la demande du marché auprès du producteur, et en retour, il connaît très bien le produit et le mode de production pour le défendre au mieux. Il lui arrive en effet d’organiser des visites de vergers pour ses clients. Ainsi, la qualité haut de gamme selon les normes du marché européen est co-construite par le partenariat entre le producteur et l’expéditeur. Les deux exploitations concernées par cette stratégie ont des vergers de taille moyenne (15 ha à 25 ha) et sont situées dans le Nord Drôme et le Nord Ardèche.

En définitive, ces deux stratégies technico-économiques relèvent de cas où il y a division parfaite des tâches entre un producteur et un opérateur de première mise en marché. Le fonctionnement de cette stratégie de valorisation repose sur la fine adéquation entre les logiques qualité des deux parties.

En coopérative, le producteur a une surface et une maîtrise technique lui permettant de produire un rendement élevé satisfaisant aux certifications permettant l’accès aux marchés de volumes les plus rémunérateurs (FQC, Eurepgap). La relation entre le producteur et la coopérative est normée, passe par un contrat et un cahier des charges. Le producteur « performant » et apporteur de volumes détient un certain pouvoir au sein de la coopérative, il fait souvent partie du conseil d’administration, et une identification forte à la coopérative transparaît dans son discours. Par exemple, il emploie le pronom « on » pour évoquer le fonctionnement et les choix de la coopérative.

Avec un expéditeur privé, il y a spécialisation respective dans la production et la mise en marché d’un produit spécifique, haut de gamme, correspondant à une demande de spécialistes connaisseurs (pas de certifications, évaluation entre « gens de métier »). La relation entre le producteur et l’expéditeur privé repose sur la confiance, l’engagement moral. Aucun contrat n’est signé. Dans ce cas non plus, aucune relation de pouvoir n’est perceptible dans les discours. Une interdépendance forte entre le producteur et l’expéditeur apparaît, qui se traduit également par une certaine identification du producteur au metteur en marché. L’arboriculteur emploie également le pronom « on » pour évoquer les choix commerciaux, il est capable de décrire en détails les clients et leurs attentes, etc.

Ainsi, la relation entre producteur et opérateur de première mise en marché, dans les deux cas, est cimentée par une interdépendance réciproque, qui est construite sur une division et une spécialisation pointue des tâches de production d’un produit de qualité donnée et de mise en marché de cette qualité. L’équilibre économique pour le producteur repose sur sa grande implication technique dans la production, pour laquelle il maîtrise très bien les charges en regard d’un objectif de qualité donné. La délégation totale du travail de tri (bien qu’il y ait parfois un premier tri au verger, lors de la récolte, dans le cas de production haut de gamme), de conditionnement et de commercialisation lui permet de se consacrer pleinement à cette tache, très exigeante sur le plan technique et en termes de main d’œuvre.

Cette efficacité de la relation entre producteurs et stations d’expédition est permise par deux ressources organisationnelles : la proximité institutionnelle qui permet une co-construction d’une qualité donnée, et la proximité géographique qui facilite une logistique efficace.

Notes
251.

Pour les professionnels, viser une qualité « standard plus » signifie obtenir le maximum de volumes de fruits classés en catégorie I, et garantir la qualité des lots envoyés aux clients : bonne tenue des fruits, pas de pourriture, pas de trop murs, pas d’erreur de tri, autrement dit, pas de retour négatif. Certaines stations d’expédition préfèrent ne pas retirer les fruits de catégorie « extra » des lots, et les laisser dans les lots de catégorie I afin d’obtenir plus de volumes d’une belle catégorie I.

252.

Filière Qualité Carrefour, pour plus de détail cf. chapitre 2.