b) Proximité institutionnelle fondée sur les réseaux sociaux hérités

Etre coopérateur ou livrer sa marchandise à un expéditeur sont des pratiques héritées du modèle d’expédition développé après la Seconde Guerre mondiale. Pour l’ensemble des exploitations concernées, ces pratiques datent d’au moins vingt ans et s’inscrivent dans la continuité de ce que faisait la génération précédente.

Les principales raisons ayant motivé l’adhésion à une coopérative relèvent de l’organisation du travail, de la sécurité de l’écoulement et du paiement de la production. Ainsi, le choix de la coopération est lié à une forme de division du travail : l’exploitant se décharge du travail de conditionnement et de mise en marché, et se spécialise dans la production au verger, qu’il peut développer. Cette évolution a été perçue, pour beaucoup, comme une simplification du travail : « c’était quand même mon père qui s’occupait de la vente, et à cette époque là il voulait prendre sa retraite donc je me suis retrouvé tout seul, et de rentrer à cette coopérative ça m’a bien simplifié la vie à tous les niveaux quoi. » 253 . Une génération plus tard, on constate qu’il y a eu, pour beaucoup de coopérateurs, séparation entre le métier de production, et de commercialisation : « vendre n’est pas notre métier » 254 . La sécurité d’écoulement de la production est également une raison du choix de la coopération, souvent même le facteur déclenchant de l’adhésion : « Je pense que ce qui nous a fait passer à la coopération en 1982, c’est que la dernière saison qu’on a fait on était chez un expéditeur, et il a fait faillite. » 255 .

Certes, le lien entre un producteur et un expéditeur privé est différent de celui existant dans la coopération, cependant il peut exister une relation partenariale forte pour permettre la co-construction d’une stratégie commerciale efficace, appuyée sur une qualité donnée. Ce haut niveau de coordination s’inscrit très fortement dans les réseaux sociaux locaux, s’appuie sur la confiance, elle-même enracinée dans l’ancienneté des relations commerciales devenues des relations de familles. Si la création des OP conventionnées avec les expéditeurs a permis la formalisation de certaines de ces relations, de nombreux partenariats demeurent oraux256, non formalisés dans un contrat écrit.

L’un des producteurs interviewés déclare en effet que si l’OP conventionnée existe depuis les années 1980 (c’était alors un GP), il travaille avec l’expéditeur depuis trois générations. En témoigne également la fête donnée par un petit industriel du Nord Drôme lors de son départ à la retraite, où certains de ses producteurs apporteurs furent conviés au même titre que la famille et les amis. Autre exemple, l’un des producteurs livre ses abricots à sa sœur, qui a fondé, lors de la succession de l’exploitation familiale, une petite société d’expédition. Celle-ci s’est spécialisée dans la commercialisation de l’abricot ardéchois et s’approvisionne auprès d’une centaine de producteurs dans un rayon de 20 km autour de la station. En commercialisant sous la marque commerciale « Fruit 2000 Ardèche », la référence explicite à la provenance est mobilisée comme ressource qualifiante. Un autre producteur, dont l’exploitation est située près d’Annonay, vend ses pommes à un expéditeur du sud de l’Ardèche, d’où il est originaire.

Le partenariat commercial a généralement été renouvelé avec les générations, d’autant que les pratiques de production sont adaptées à produire une qualité que le négociant sait valoriser. Cette ressource est, par là, éminemment territoriale, mais sa pérennité est aujourd’hui menacée par le manque de renouvellement des opérateurs de la filière. En effet, on ne remplace pas ce type de relation de confiance, de savoir-faire partagé, dans la construction d’une qualité commerciale, aussi facilement que l’on reprend les capitaux d’une entreprise.

La formalisation de certains de ces partenariats pourrait éventuellement faciliter le renouvellement de cette ressource. L’exemple des petites organisations collectives formées par les OP syndicales conventionnées avec un expéditeur est, en cela, intéressant. En référence à la typologie proposée par Sophie Dubuisson-Quellier et al. (Dubuisson-Quellier et al., 2006), ces OP correspondent au type « OP club » où la coordination est très forte entre les producteurs et l’expéditeur privé : le bureau de l’OP est hébergé dans les locaux de l’expéditeur, le technicien est partagé entre les deux entités, un cahier des charges de production permet d’homogénéiser les apports, etc.

Si la transmission des savoirs, de la confiance, des modes de production peut en partie passer par leur formalisation, la gestion de la qualité de fruits implique de maîtriser la logistique.

Notes
253.

Producteur coopérateur, enquête personnelle 2006.

254.

Producteur coopérateur, enquête personnelle 2006.

255.

Producteur coopérateur, enquête personnelle 2006.

256.

D’aucun diront « informels ». Nous préférons les qualifier d’ « oraux » parce que l’absence de papier ne signifie pas que l’engagement des opérateurs n’est pas aussi important.