c) Proximité géographique : un atout pour la bonne gestion des fruits frais

La proximité géographique entre producteurs et metteur en marché peut jouer un rôle structurant. C’est le cas pour les expéditeurs privés qui travaillent sur le haut de gamme et qui mobilisent une qualité spécifique liée au terroir. La proximité permet alors une grande interconnaissance entre les producteurs, leurs vergers et l’expéditeur, des échanges fréquents, et la co-construction d’une offre de qualité spécifiée.

En revanche, dans le cas des stratégies de production plus standard, satisfaisant seulement aux normes internationales, telles que développées dans les coopératives ou par d’autres expéditeurs privés, la proximité géographique intervient uniquement dans la maîtrise de la qualité post-récolte. Les fruits standardisés peuvent plus facilement être produits partout, et notamment dans le sud de la France où les aléas climatiques sont moins menaçants. Il n’en demeure pas moins que pour ces produits fragiles et variables, le travail du commercial est sécurisé si son approvisionnement est regroupé. L’exemple des coopératives, qui doivent aujourd’hui gérer l’approvisionnement de divers sites de réception et parfois de conditionnement, est emblématique. L’enjeu, comme en témoigne un des directeurs de ces structures, est de maintenir une certaine proximité géographique entre les lieux de production, les différents lieux de livraison, de conditionnement et d’expédition : « On fait toujours mal ce qu’on fait de loin. J’ai déjà tenté une ou deux fois de travailler avec Perpignan, mais on est loin, à 300 km, et en plein mois de juillet vous vous apercevez que ça ne correspond pas, que ça arrive en retard, que ci, que ça… »257. Or dans le monde des fruits frais, en période de production maximum, un metteur en marché ne peut pas se permettre de se tromper.

L’échelle d’efficacité des coopératives est par conséquent construite à deux niveaux. La première échelle, dite de proximité, est celle qui rassemble la grande majorité des producteurs, dans le bassin Drôme-Ardèche et centrée sur la station d’expédition (rayon de 30 km maximum). La seconde comprend quelques apporteurs ou domaines de production qui peuvent être délocalisés dans le sud de la Drôme (plaine de Montélimar, Donzère), dans la Crau ou dans le Gard. Ces producteurs ainsi que leurs pratiques de production sont bien connus du directeur, et la logistique est facile pour intégrer cette production au sein de la station d’expédition. Sauf dans un cas, les coopératives ne dérogent pas à ce schéma qui leur permet de bien connaître et contrôler la production qui vient d’un peu plus loin.

Dans cette perspective, la délocalisation d’une partie de l’approvisionnement apparaît davantage comme une stratégie permettant de maintenir la structure viable que comme un mouvement d’abandon du bassin de production historique. Par le recours à la production délocalisée, les coopératives assurent la viabilité économique d’un outil essentiel aux producteurs locaux, permettant le maintien d’un grand nombre d’exploitations, donc de leur base territoriale. Mais comment garantir que cette tendance, au départ envisagée comme une politique de complément d’approvisionnement, ne bascule pas complètement vers une déterritorialisation ? Une coopérative en particulier a fait ce choix, en délocalisant la majeure partie de la production (dans le Sud de la France et en Tunisie) et en envisageant, à terme, une délocalisation de la structure de la coopérative. Ces choix stratégiques relèvent du conseil d’administration des coopératives, ils appartiennent donc aux producteurs coopérateurs. Mais ils sont également très fortement influencés par les directeurs des coopératives, personnes qualifiées et très respectées par les producteurs. La stratégie de délocaliser l’approvisionnement sans différenciation particulière reste inscrite dans le marché concurrentiel européen, voire mondial, et n’apporte que peu de plus-value aux producteurs de la Moyenne Vallée du Rhône, sinon l’assurance d’un écoulement des productions. Ainsi aujourd’hui, le degré d’ancrage territorial des coopératives ne dépend que des producteurs coopérateurs, appuyés par leurs directeurs. Paradoxalement, cette ressource organisationnelle se maintient grâce à un équilibre précaire entre un objectif d’ancrage territorial de sa base (infrastructures et membres) et une pratique de délocalisation d’une partie de ses apports.

Pour les pratiques de commercialisation avec délégation totale de la mise en marché, l’ancrage territorial est essentiellement le fait d’une interdépendance forte entre les producteurs et les opérateurs de mise en marché du même bassin de production. L’interdépendance relève d’une proximité institutionnelle, soit parce que la coopérative est administrée par les producteurs ; soit parce que l’expéditeur privé est lié à ses apporteurs par une co-construction d’une qualité donnée, par des liens sociaux, éventuellement par une convention. Elle relève également d’une proximité géographique, puisque la maîtrise de la qualité des fruits frais nécessite un faible temps de transport entre production et station d’expédition. Ces ressources organisationnelles offrent donc aux producteurs des outils de conditionnement et de mise en marché qui leur évitent d’assumer ces charges. Aucune ressource différenciative n’est mobilisée, excepté, dans de rares cas, la provenance géographique qui est mentionnée par une marque privée, et souvent pour l’Ardèche258.

Notes
257.

Directeur de coopérative, entretien personnel, 2006.

258.

N’ayant pas pu rencontrer l’expéditeur utilisant la marque mentionnée, nous n’avons pas réussi à savoir si cette marque permet l’obtention d’une plus-value à la vente. Il semble néanmoins que pour les producteurs, cela ne fasse pas une grande différence.