b) Ressources organisationnelles : organisations collectives de vente à échelles variables

Pour cette stratégie d’« expédition nationale-export » comme pour la précédente, la ressource essentielle est de nature organisationnelle. Elle doit permettre un amortissement des charges engendrées par la mise en marché par un regroupement efficace d’une offre de qualité homogène. Quelle que soit la manière dont est construit le regroupement, par internalisation ou externalisation de la fonction commerciale, le rassemblement de fruits de qualité homogène requiert soit interconnaissance et confiance entre les membres de l’organisation, soit un cahier des charges de production. Ainsi les membres de l’organisation collective de vente sont généralement en très petit nombre, se connaissent bien et « travaillent de la même façon »264. Cela se rapproche d’un fonctionnement « club » (Dubuisson-Quellier et al., 2006) alors qu’il n’y a pas reconnaissance en OP.

Paradoxalement, deux des exploitations de ce type sont membres d’une OP fédérative, mais aucune ne mobilise ce groupement pour la commercialisation, soit parce que les logiques qualités des autres adhérents ne correspondent pas à la leur, soit parce que les volumes regroupés par l’OP ne sont pas assez importants. Les deux adhésions à ces OP ont été justifiées par l’accès aux aides des programmes opérationnels (aides à la plantation notamment) et aux retraits pour la pêche, ainsi que par la volonté d’appartenir à un groupe pour échanger sur le plan technique, et rester en contacts avec l’évolution de la profession. Cela illustre l’ « échec » de l’objectif de regroupement de l’offre que visait l’OCM de 1996 par la constitution d’OP. Pour ces exploitations, il y a au contraire une disjonction claire entre l’organisation administrative et la reconnaissance professionnelle qu’offre l’OP, et l’organisation économique de leur commercialisation au sein de collectifs plus réduits.

La qualité des fruits et la stratégie commerciale qui lui correspond constituent l’élément fédérateur de ces organisations collectives de vente. L’échelle géographique et l’ancrage territorial du collectif en dépendent. Dans les cas où la qualité des fruits est construite sans référence à l’origine géographique, ce sont les proximités géographique et institutionnelle qui structurent le collectif, comme dans la stratégie de type 1. En revanche, lorsque les producteurs revendiquent une qualité liée au territoire, ce même territoire prend une place importante dans la construction du collectif, supplantant parfois la proximité institutionnelle.

Dans le cas de la stratégie fondée sur une production de fruits bio destinés aux circuits de grande distribution, l’exploitation rachète des fruits de quelques exploitations voisines, certaines pouvant venir des départements limitrophes, comme celui des Alpes-de-Haute-Provence. L’échelle de l’organisation est essentiellement locale, avec néanmoins des ramifications un peu plus éloignées pour rassembler des fruits labellisés AB encore peu courants. La proximité géographique a été nécessaire pour l’établissement et le fonctionnement de la relation commerciale : d’une part le producteur-expéditeur a pu connaître et identifier ses producteurs fournisseurs, d’autre part, il peut suivre les pratiques de production et la qualité des fruits qu’il va commercialiser sous son nom. Ce n’est qu’une fois que les relations commerciales sont éprouvées dans la durée que la proximité institutionnelle peut venir prendre le relais.

Le cas de l’exploitation productrice d’abricots qui s’est associée au groupe Fruit Union S.A., dont la stratégie est de proposer aux GMS et à l’export une gamme de fruits standards sur toute la saison de production, montre une organisation à l’échelle du Grand Sud-Est. Fruit Union SA rassemble en effet quelques coopératives et producteurs indépendants visant ces mêmes marchés de volumes, situés tout au long de la vallée du Rhône, entre Lyon et la Méditerranée. L’organisation spatiale prend la forme d’un réseau oligo-polaire, dont les liens reposent sur des relations commerciales anciennes et une conception commune de la qualité standard. Son centre se trouve dans la Moyenne Vallée du Rhône, où sont situés les principaux opérateurs. C’est donc la proximité institutionnelle qui est fédératrice ici, issue des réseaux professionnels et commerciaux historiques.

Enfin, l’exploitation qui mobilise explicitement l’identité territoriale par la marque collective « Haute Ardèche » montre l’influence de l’appartenance territoriale dans la construction de collectifs commerciaux. Cette marque est portée par une association d’une vingtaine de producteurs indépendants rassemblés par leur localisation dans la moitié nord de l’Ardèche. Le nom donné à cette association, « Vergers Nord Ardèche » témoigne de la logique territoriale qui délimite l’échelle de ce collectif. Mais la seule proximité territoriale ne suffit pas à rassembler des producteurs ayant les mêmes pratiques de production et les mêmes objectifs de qualité. Le manque de référentiel partagé pour élaborer une offre commune homogène, pouvant être valorisée sous la même référence à l’origine, empêche la mise en place d’une organisation commerciale efficace (cf. chapitre 3).

L’analyse montre ainsi qu’il est plus facile de constituer une offre de fruits de qualité homogène lorsque le collectif de producteurs est rassemblé par une proximité institutionnelle que lorsqu’il se construit autour d’une proximité géographique. Dans le premier cas, l’accord collectif est possible grâce à la définition partagée de la qualité, préexistante ou construite entre les membres. En revanche, dans le second cas, il manque un système de valeurs commun définissant la qualité. C’est ce qui explique en partie que les organisations collectives de vente décrites ici ne correspondent pas aux collectifs des OP fédératives. Lors de la constitution de ces OP, pour des raisons évidentes de praticité (ne serait-ce que pour les transports lorsqu’il faut organiser des réunions) et d’interconnaissance, les producteurs se rassemblent selon une proximité géographique, en référence à des espaces d’appartenance. Les noms donnés à ces OP en témoignent265 : ils correspondent presque tous aux périmètres géographiques de provenance des producteurs membres. Si cette proximité géographique autorise le fonctionnement administratif des OP fédératives, en revanche, une proximité institutionnelle est nécessaire pour s’entendre sur une définition de la qualité, d’où la constitution de micro-collectifs commerciaux hors de ces OP à base géographique.

En définitive, la ressource mobilisée dans les stratégies de type expédition nationale-export relève de la proximité institutionnelle entre les membres de l’organisation collective de vente. Celle-ci leur confère le cadre cognitif nécessaire à l’élaboration d’une qualité homogène correspondant à la stratégie commerciale. Cette proximité institutionnelle peut être héritée de réseaux préexistants, ou construite à partir de relations de proximité géographique.

Notes
264.

Producteur-expéditeur, enquête personnelle 2006.

265.

Les OP concernées sont les suivantes : GAMOVAR (groupement d’arboriculteurs de la Moyenne Vallée du Rhône), GDV (groupement Dauphiné-Vivarais), Dolon-Valloire (vallées du Nord Drôme), Isérine.